Bonne nouvelle pour les consommateurs: les miels que nous avons analysés ne sont pas coupés avec du sirop de sucre! Des résultats réjouissants, mais plutôt surprenants. En effet, le miel est réputé faire l’objet de fraudes massives. La Commission de l’agriculture du Parlement européen affirmait ainsi, en juillet, qu’«il est, par ordre d’importance, le troisième produit le plus contrefait dans le monde».
Comme il est essentiellement composé de sucre (fructose et glucose surtout), et d’eau, il est facile, pour les escrocs de le diluer avec des sirops de sucre de canne, de maïs, de riz ou encore de betterave dont la composition est proche et le prix moindre. Une enquête menée en 2014 par le magazine français Que choisir a révélé qu’un tiers des vingt miels très bon marché achetés en grande surface avaient été trafiquées.
Cette pratique est strictement interdite tant en Europe qu’en Suisse. L’annexe 7 de l’ordonnance fédérale sur les denrées alimentaires d’origine animale stipule ainsi que «le miel ne peut faire l’objet d’aucune addition de substances autres que du miel».
Du point de vue sanitaire, l’adjonction de sucre ne présente pas de danger. Il ne demeure pas moins que le consommateur est en droit d’attendre un produit 100% authentique, provenant exclusivement du labeur des abeilles.
Des résultats réjouissants
Avec notre partenaire On en parle (RTS-LA 1ère), nous avons donc voulu connaître la situation en Suisse. Nous avons fait analyser vingt miels étrangers d’entrée de gamme, achetés dans les grandes surfaces. Le laboratoire spécialisé n’a trouvé aucune adjonction de sucre exogène (voir tableau). Il a pourtant utilisé les techniques les plus pointues, notamment le profiling par résonance magnétique nucléaire (RMN). Méthode qui a l’avantage de déceler les adultérations quelle que soit l’origine du sucre ajouté (canne, maïs, riz, blé, betterave, etc.).
De surcroît, les experts ont constaté que les différents produits n’avaient pas subi de chauffage excessif et que les taux d’humidité mesurés – de 15,4% à 18,7% – respectent les normes légales (max. 20%). Enfin, les analyses confirment que, pour les quatre produits précisant une origine botanique sur l’étiquette (miel de forêt, de colza et de tilleul), l’indication correspondait bien à la réalité.
Comment expliquer de tels résultats? Selon la Commission de l’agriculture, la contrefaçon touche particulièrement les miels achetés en Chine, qui est le premier producteur et le consommateur mondial. En 2015, la moitié des 200 000 tonnes importées par l’UE provenaient de l’Empire du Milieu. Dans les rayons des supermarchés romands pourtant, nous n’avons trouvé que trois produits contenant du miel originaire, en partie, d’Asie, vendus chez Denner. Quatre autres pourraient toutefois en renfermer, puisqu’il s’agit de «mélanges de miels originaires et non originaires de l’UE». Cette présence relativement faible de produits chinois pourrait contribuer à expliquer la situation.
Les contrôles ont réduit les fraudes
Le plus gros importateur suisse, la société Narimpex, de Bienne, qui fournit plusieurs grands distributeurs, a d’ailleurs renoncé depuis longtemps à s’approvisionner en Chine, préférant l’Amérique latine. «En fait, nous n’aimions pas le goût et, lorsque les problèmes liés à l’adjonction de sucre ont commencé à apparaître, cela nous a dissuadés de revenir sur notre décision», explique Heinrich Grüning, son directeur. Remarquons toutefois que, sur les vingt produits achetés, six seulement sont mis en pot en Suisse. Les quatorze autres proviennent de l’UE, notamment d’Allemagne et d’Autriche.
Norberto Garcia, président de l’Organisation internationale des exportateurs de miels et grand pourfendeur des produits adultérés se réjouit de nos résultats et avance quelques explications. Selon lui, «cela démontre que les supermarchés suisses ont des exigences efficaces lorsqu’ils achètent du miel importé». Le spécialiste estime aussi que la méthode de détection par résonance magnétique (NMR) a beaucoup aidé à abaisser le nombre de fraudes, ces deux dernières années en Europe. Car la technique classique (SMRI-13C) permettait de déceler uniquement les adjonctions de sucre de canne et de maïs. Les fraudeurs, notamment chinois, parvenaient à déjouer les contrôles en utilisant d’autres substances, comme le sucre de riz.
Sébastien Sautebin
Le prix du miel suisse
Comme le montre notre tableau, le prix du miel étranger de supermarché peut être très bas. Il se vend jusqu’à cinq fois moins cher que le miel suisse dont les prix se situent autour des 20 à 25 fr. le kilo, avec des pics pouvant atteindre 60 fr. Cette différence semble abyssale. Heinrich Grünig, directeur de Narimpex, a son explication: «Dans les pays tropicaux, comme le Mexique, le miel peut être récolté pendant neuf mois, contre seulement trois à quatre mois en Suisse, et la production atteint 50 à 70 kilos par ruche, alors que la moyenne helvétique n’est que de 10 à 15 kilos.» Du coup, les volumes obtenus diffèrent considérablement pour un travail quasi similaire, sans oublier le coût de la vie, qui influe aussi sur les prix.
Les apiculteurs suisses ne s’en mettent donc pas plein les poches. «Nous avons calculé que le salaire horaire tourne autour de 8 fr. Dans notre pays, il s’agit surtout d’un hobby pour 95% des apiculteurs, qui possèdent en moyenne une dizaine de ruches. Souvent, les recettes permettent uniquement de couvrir les charges matérielles», précise Sonia Burri-Schmassmann, présidente d’Apisuisse, la faîtière des associations apicoles suisses. La production suisse est donc essentiellement artisanale et s’écoule en vente directe ou dans des petits commerces. Mais, au vu des écarts de prix, vaut-il vraiment la peine d’acheter du miel suisse?
Outre le fait de soutenir le marché local et d’avoir le plaisir de déguster un miel artisanal, la démarche a un autre impact fondamental. «La production est très décentralisée, les abeilles mellifères contribuent ainsi à la pollinisation d’une large part du territoire», souligne Jean-Daniel Charrière, responsable du Centre suisse de recherche apicole d’Agroscope. Or, la pollinisation est essentielle pour la production fruitière, pour le rendement et la qualité du colza ou du tournesol, ainsi que pour la biodiversité des plantes non cultivées. Des chercheurs d’Agroscope ont calculé qu’elle contribue à la production alimentaire à hauteur de 350 millions de francs par an, dont la moitié attribuable aux abeilles mellifères. Acheter du miel suisse est donc bénéfique pour l’environnement et l’économie.