C'est l'histoire du verre à demi plein ou à demi vide. Sauf que la flotte est remplacée ici par une substance autrement plus agressive: le glyphosate, herbicide que la société Monsanto a rendu célèbre avec son produit phare, le RoundUp. Alors que l'Union européenne (UE) hésite entre le prolongement de son exploitation ou son interdiction, la Suisse joue en solo et propose de classer le produit sans danger, donc sans raison de l'interdire.
Le verre à demi plein, c'est parce que la prise de position du Conseil fédéral, face à une motion déposée en septembre dernier par le groupe des Verts, s'appuie sur une étude montrant que 40% de 230 produits vendus en Suisse et analysés par l'Office fédéral de la sécurité alimentaire contiennent du glyphosate.
Le verre à demi vide, c'est parce que les sept Sages jugent les teneurs mesurées trop faibles pour être dangereuses. Ainsi, souligne le rapport, il faudrait manger, en une seule journée, quelque 71 kg des pâtes alimentaires les plus contaminées (421 µg/kg) pour atteindre la dose journalière acceptable maximale (30 mg pour un adulte). Et comme les Suisses ne mangent, en moyenne, que 10 kg de pâtes par an, il n'y a plus de problème, passez votre chemin...
L'Europe se déchire
Cette position tranche singulièrement avec la valse hésitation que danse l'UE depuis l'an dernier, lorsque, faute de consensus, elle a provisoirement prolongé de 18 mois l'autorisation du glyphosate. Le problème, c'est que la décision finale doit être prise par la majorité qualifiée, soit 55% des Etats membres représentant au moins 65% de la population totale. Un défi que les 28 pays n'ont pour l'instant pas relevé, tiraillés entre le principe de précaution (l'OMS a classé l'herbicide comme «probablement cancérigène pour l'homme») et les pressions des lobbyings industriel et agricole qui s'appuient sur l'avis contradictoire de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA).
Le dernier échec en date remonte au 9 novembre dernier. Il va, toutefois, bien falloir trancher dans les jours qui viennent, puisque la prolongation provisoire prend fin le 15 décembre 2017. Le sort de l'herbicide sera donc examiné par un comité d’appel le 27 novembre, a décidé la Commission européenne. Notez bien: c'est la substance, soit le glyphosate, qui sera interdit ou toujours autorisé. Mais dans ce dernier cas, les Etats gardent le droit d'exclure les produits (le RoundUp principalement), comme l'étudie la France.
Cocktail explosif
On peut donc s'étonner que, à quelques jours d'une décision aussi importante, la Suisse fonce sans attendre et tête baissée, pariant sur le verre à demi vide. Visiblement sans tenir compte des études récentes démontrant que, même à doses extrêmement minimes, les perturbateurs endocriniens (qui passent à 80% par l'alimentation, en particulier via les pesticides) engendrent un véritable cocktail explosif quand ils sont associés les uns aux autres...
Complément du 27 novembre 2017 à 16:15: l’Union européenne a renouvelé pour cinq ans la licence d’exploitation du glyphosate.
Christian Chevrolet