Le Père Noël n’avait toujours pas la 5G sur son traîneau. Ce qui ne l’a pas empêché de distribuer des smartphones à la pelle. C’est que ses petits protégés n’ont pas manqué d’arguments: «A l’école, presque tous mes copains en ont un. Pourquoi pas moi?» Complainte de Calimero souvent accompagnée d’une symphonie au doux trémolo: «Et en cas de problème, je fais comment pour vous avertir sans téléphone?»
Quel que soit le medley qu’on leur a chanté en boucle, les parents finissent, un jour, par céder à la pression. Ils le font parfois par gain de paix sans penser que la prochaine guerre sera plus sournoise encore: les limitations à imposer sur le contenu et le temps d’écran. Car n’en déplaisent à celles et ceux qui ferment les yeux par facilité ou par négligence, un usage mal cadré des écrans présente de réels dangers pour les enfants. De l’impact sur le développement intellectuel aux incidences sociales, les dégâts peuvent être aussi nombreux qu’insidieux.
Des apps à la pelle
C’est ce qui incite certains parents à opter pour un dispositif de contrôle parental. Il est vrai que, au cours de la dernière décennie, de nombreuses applications de filtrage ont été développées pour les appareils mobiles. Notre enquête, menée en collaboration avec l’émission On en parle (RTS – La Première) a montré qu’il en existe tellement que le choix est cornélien.
Cette profusion a d’ailleurs incité l’association Action Innocence à renoncer aux comparatifs qu’elle a menés jusqu’à fin 2014. «Lorsque ces applications ont fait leur apparition, il y a une dizaine d’années, elles étaient peu nombreuses et leur efficacité très variable. Mais aujourd’hui, l’offre est pléthorique et les différences entre ces outils sont minimes», atteste sa directrice, Tiziana Bellucci.
Gratuité très relative
Un examen de plusieurs applications confirme que leurs fonctionnalités sont très proches avec des options de limitation (durée, période, etc.), de blocage (contenu, achat, etc.) et même de flicage (géolocalisation, etc.). Elles sont nombreuses aussi à afficher leur gratuité. Gratuité tout relative, puisqu’il s’agit souvent de déclinaisons basiques conçues pour inciter le consommateur à passer ultérieurement à une version payante.
En 2018, deux mastodontes se sont invités dans l’arène avec des outils gratuits. Le premier n’est autre que Google qui a généralisé la diffusion de l’application «Family Link», après l’avoir lancée en 2017 aux USA. De son côté, Apple a profité du lancement de iOS 12 pour intégrer la fonctionnalité «Temps d’écran» dans les réglages de son système d’exploitation. Deux approches différentes dont nous avons examiné les fonctions principales.
Comme l’illustre notre récapitulatif (voir tableau), les deux outils partagent pas mal de similitudes. Ils permettent, l’un et l’autre, de fixer des limites dans le temps et la durée. Il est, par exemple, possible de bloquer l’appareil pendant les heures souhaitées – la nuit, par exemple – ou d’attribuer une durée d’utilisation maximale par jour. Sur Family Link, il n’y a que la fonction téléphone – appels entrants et sortants – qui n’est pas affectée par ces restrictions. Sur Temps d’écran, les réglages sont un brin plus fins: il est possible de dresser une liste d’apps autorisées en permanence et de régler le temps d’écran par catégorie
d’apps (réseaux sociaux, jeux, etc.).
Au rapport, moussaillon!
On le sait, un smartphone donne un accès illimité à des contenus problématiques (violence, pornographie, etc.). Sur ce point, Temps d’écran et Family Link permettent de bloquer les sites web inadaptés aux enfants. L’achat de films – sur les stores – peut être filtré en fonction de l’âge de l’enfant. Apple s’appuie sur le système de classification PEGI, bien connu dans l’univers des jeux. Pour sa part, Google se base sur la norme allemande FSK. Pour la musique et les livres, les deux géants proposent un blocage des contenus dits «explicites»: langage inapproprié ou références à des comportements critiques (violence, sexe, etc.).
Le filtrage des applications suit pratiquement la même logique. Family Link permet néanmoins de paramétrer plus finement les approbations parentales requises pour l’achat ou le téléchargement de nouvelles applications. Elle autorise également un blocage des apps sur la base d’une liste personnalisable, ce qui n’est pas le cas avec Temps d’écran.
Les deux dispositifs partagent aussi leur goût pour les statistiques. On dispose d’un rapport d’activité sur les sept derniers jours avec Temps d’écran et même trente jours avec Family Link. Cette fonction renseigne sur le nombre de minutes passées sur chaque application. Temps d’écran va plus loin encore, puisqu’elle enregistre le total d’activations de chaque app et le nombre de notifications reçues pour chacune d’elle! Et, les deux systèmes proposent un outil de géolocalisation de l’appareil à distance.
Le dialogue avant tout
L’examen de ces filtres parentaux n’appelle pas moins une autre question centrale: sont-ils vraiment pertinents? Spécialiste renommé dans ce domaine, le psychiatre et docteur en psychologie Serge Tisseron préfère y répondre par une boutade: «Disons qu’il vaut mieux connaître leur existence que l’ignorer! Mais cela ne remplacera jamais le dialogue familial. Si les parents croient que les filtres règlent tout, ils se trompent. Cela n’empêchera pas les enfants, par exemple, d’être confrontés, au contenu problématique du téléphone des copains.»
Tiziana Bellucci partage une vision très proche: «C’est bien d’installer de telles applications pour mettre des limites. Mais on doit surtout les utiliser comme des outils de discussion. Cela permet notamment aux enfants de prendre conscience du temps passé sur leur téléphone. Mais si les réglages sont trop restrictifs ou invasifs, l’enfant trouvera moyen de les contourner à l’extérieur de la maison.»
En résumé, un filtre n’est en rien une solution à lui tout seul. C’est un complément au dialogue, au bon sens et à quelques règles élémentaires (lire encadré). A commencer par un point qui dépend lourdement des adultes: montrer l’exemple!
Yves-Noël Grin
Conseils: Des règles et de la cohérence
A partir de quel âge l’achat d’un téléphone est-il pertinent pour mon enfant? C’est la première question qui hante les parents soucieux de bien faire. Les spécialistes évoquent parfois l’âge de 12 ans. «C’est effectivement une moyenne acceptable. Mais il est difficile de donner une réponse absolue, car ça dépend du contexte et de l’usage qui en sera fait, tempère Serge Tisseron. Ce qui est important, c’est d’en discuter avec l’enfant avant d’acheter l’appareil.»
Cette discussion préalable servira aussi à fixer des règles essentielles. La première, c’est de bannir impérativement le téléphone de la chambre à coucher (1). A ce titre, l’excuse de la fonction «réveil» est absurde: il suffit de se procurer un petit réveil qui aura l’avantage, en plus, de préserver l’enfant des ondes inutilement émises par son téléphone durant la nuit. Le deuxième endroit interdit aux appareils, c’est la table familiale (2): «Sur ce point, les parents doivent montrer l’exemple. Affirmer que papa a le droit de consulter son smartphone à table pour son travail, c’est une erreur!» souligne Tiziana Bellucci.
La notion d’exemple est d’ailleurs au cœur de l’enjeu. Ainsi, les parents doivent savoir poser leur téléphone pour ne pas parasiter des moments d’échange (3). «Il est très important de ne jamais l’utiliser lorsqu’on joue ou si on discute avec l’enfant», illustre Serge Tisseron. «C’est d’ailleurs le rôle des parents de montrer qu’on peut se passer du téléphone en offrant une alternative, renchérit Tiziana Bellucci. Il y a plein d’activités – comme les jeux ou les balades – qui ne coûtent rien et permettent de créer des moments d’échange, de découverte et de complicité en famille.»
Un smartphone reste un instrument fabuleux. C’est l’utilisation qu’on en fait qui peut être problématique. Aussi, Tiziana Bellucci recommande aux parents de s’intéresser à ce que font les enfants sur leur appareil. C’est l’occasion, là aussi, d’ouvrir la discussion et de favoriser le développement de leur esprit critique.