Des pesticides dans les fruits et les légumes aux perturbateurs endocriniens dans le plastique et les cosmétiques. Depuis plus de vingt ans, les tests de Bon à Savoir démontrent que des polluants nocifs affectent notre environnement et les biens de consommation en tout genre. Si la volonté de les réduire n’est pas très vive du côté des fabricants et des producteurs, la thématique promet de larges débats au cours des prochains mois. On pense aux deux initiatives populaires contre les pesticides qui devraient être soumises au peuple, en 2020. Deux objets que le Conseil fédéral recommande d’ailleurs de rejeter, estimant que les mesures prévues pour la politique agricole dès 2022 sont suffisantes.
Contamination générale
Au-delà de la prise de conscience générale et des craintes que le phénomène suscite, quel écho ces substances indésirables ont-elles sur nos organismes? C’est ce que nous avons voulu savoir en faisant analyser les cheveux de 20 personnes – 10 Romands et 10 Alémaniques – âgées de 2 à 77 ans. Et, autant le dire tout de suite, les résultats montrent que les lois et les réglementations en vigueur ne suffisent pas à protéger la population. Car tous les échantillons étaient contaminés par une multitude de résidus nocifs.
Le Laboratoire français ToxSeek, qui a procédé aux analyses, a traqué 1800 polluants organiques et 46 métaux. Toutefois, les résidus de gaz d’échappement, comme les hydrocarbures aromatiques polycycliques, le formaldéhyde et le monoxyde de carbone ne sont pas pris en compte, car d’autres méthodes sont nécessaires pour les détecter. Son approche se focalise sur la toxicité chronique, c’est-à-dire celle qui indique que l’exposition est répétée. Car, comme le précise le laboratoire, c’est bien là que réside le principal risque toxique. L’effet le plus courant est ce qu’on appelle la «perturbation endocrinienne», à savoir l’action délétère de molécules chimiques sur notre système hormonal. Les conséquences sur le métabolisme peuvent être nombreuses, à commencer par le déclenchement de maladies (cancer, etc.) ou le dysfonctionnement de certaines fonctions (facultés reproductrices, etc.).
La personne la moins contaminée du test est un Romand de 27 ans, domicilié à Fribourg. Huit substances ont été détectées à un niveau important dans ses cheveux. Sa recette? Il cuisine des plats frais en utilisant exclusivement des produits de saison et de provenance essentiellement locale. «Je ne fume pas, je ne mange pratiquement aucun aliment exotique et je n’utilise presque pas de cosmétique», explique le jeune homme qui aime passer son temps libre en plein air.
Chez la majorité des participants à ce test, dont trois enfants âgés de 2 à 4 ans, les experts ont décelé entre 10 et 20 polluants. Les cheveux d’un petit garçon de 2 ans, habitant en ville de Zurich, renfermaient des résidus de chlorobenzilate et de l’acide naphtoxyacétique, deux substances utilisées dans la culture des fruits. Le premier est un antiacarien suspecté d’être cancérigène, alors que le second est un régulateur de croissance dont les effets sur l’humain n’ont pas encore fait l’objet d’études. Ils proviennent a priori des raisins et des raisins secs dont le bambin raffole.
Fards à paupières aux métaux lourds
Les deux personnes les plus contaminées du test sont une Vaudoise de 16 ans et une Thurgovienne de 77 ans. Plus de 20 résidus ont été détectés à un niveau anormal dans leurs échantillons capillaires. Et chez l’une comme chez l’autre, l’organisme a été affecté par des substances qui ont surtout pénétré par la peau et par les voies respiratoires.
La gymnasienne, qui habite dans le Gros-de-Vaud et étudie à Lausanne, utilise une large palette de produits cosmétiques. Parmi les résidus retrouvés dans ses cheveux figurent des agents conservateurs, des plastifiants et de nombreux métaux lourds, comme le mercure, le plomb et le cadmium. Ces derniers sont surtout employés dans les pigments des khôls, des fards à paupières et des rouges à lèvres.
De son côté, la septuagénaire réside dans la campagne thurgovienne. Elle cultive un potager bio et consomme autant que possible des produits bio également. Pourtant, son organisme contient des pesticides utilisés dans la culture des fruits, du blé et du maïs. Le laboratoire a également dépisté chez elle des résidus de médicaments vétérinaires ainsi que du poison contre les rongeurs. Le mystère est vite percé: la maison de la Thurgovienne se trouve à proximité de terrains agricoles et d’un élevage de volailles. Selon deux récentes études de l’Institut pour l’environnement de Munich et de l’Université de Neuchâtel, les traitements chimiques utilisés dans les cultures peuvent être disséminés à des kilomètres à la ronde par le vent.
Dégradation très lente
On constate aussi que certains polluants organiques ont été décelés dans de nombreux échantillons, indépendamment du mode de vie des personnes. Il s’agit de substances qui se dégradent très lentement, raison pour laquelle on trouve des résidus dans les sols, dans l’eau et dans l’air après plusieurs années encore. C’est le cas de l’atrazine et du DNOC, interdits depuis respectivement 2012 et 1999. Ces deux pesticides ont été détectés chez 13 des 20 personnes testées.
Parmi les autres résidus toxiques traqués par le laboratoire, on trouve encore des produits chimiques comme des retardateurs de flamme et des pesticides qui ont une influence nocive sur le système hormonal. Non seulement ces substances peuvent réduire la fertilité ou le développement embryonnaire, mais elles peuvent aussi se renforcer les unes les autres. Ce phénomène, appelé «effet cocktail», a récemment été confirmé dans une étude sur le sperme à l’Université allemande de Münster.
Comme les résultats le montrent, un mode de vie sain et des choix pertinents permettent de réduire quelque peu son exposition aux polluants. Mais il est néanmoins impossible d’y échapper entièrement. C’est aussi le constat de Nathalie Chèvre, écotoxicologue à l’Université de Lausanne. «C’est la raison pour laquelle il faut tenter de réduire au maximum l’exposition», conclut-elle. Le consommateur peut le faire là où la transparence lui permet de choisir des produits plus sûrs comme le bio ou les cosmétiques sans parabènes.
Dans d’autres domaines, en revanche, c’est au monde politique d’intervenir, estime la scientifique. Mais, à l’instar de certaines prises de position du Conseil fédéral, on est encore loin du principe de précaution. On en veut pour preuve la nouvelle ordonnance sur la protection des eaux qui prévoit une hausse massive de certaines limites de pesticides. Après les nombreuses oppositions qui se sont fait entendre en 2018, la révision est officiellement «toujours en cours».
Andreas Schildknecht / Sandra Porchet
Méthode d’analyse
Le Laboratoire ToxSeek à Ennery (F) est spécialisé dans l’analyse de cheveux humains. A l’aide de deux méthodes de détection de haute précision (chromatographie liquide et spectromètre de masse), les experts ont recherché 1800 polluants organiques ainsi que 46 métaux et métaux lourds. Dans la première catégorie figurent des centaines de pesticides, des plastifiants, des conservateurs de cosmétiques, comme les parabènes et les bisphénols. Tous sont potentiellement des perturbateurs endocriniens, c’est-à-dire qu’ils ont un effet négatif sur les hormones. Certains sont cancérigènes. Les experts ont utilisé des mèches de cheveux de 3 cm à partir de la racine. Cela correspond aux trois derniers mois d’exposition aux polluants.