Cosmétiques, médicaments, dentifrices, denrées alimentaires: les nanoparticules sont partout. Infiniment petites, ces particules tirent leur nom de leur taille: de 1 à 100 nanomètres (nm), un nanomètre équivalant à un milliardième de mètre (10- 9 m). Elles sont 50 000 fois plus petites qu’un cheveu. Inconnues du grand public, il y a encore quelques années, ces substances suscitent de plus en plus de méfiance. Dans le domaine alimentaire, les nanoparticules se retrouvent dans certains additifs.
Obligation d’étiquetage
En Suisse, les fabricants de denrées alimentaires devront mentionner, à partir de mai 2021, l’existence de ces particules sur les emballages. L’an dernier, une étude pilote portant sur l’analyse de trois variantes de nanoparticules avait été financée par l’Office fédéral de la sécurité alimentaire (OSAV). Ces tests avaientrévélé leur présence dans pas moins de 15 aliments sur 56 échantillons.
En attendant que l’obligation d’étiquetage entre en vigueur, nous avons fait tester – en collaboration avec les émissions A bon entendeur et On en parle de la RTS – une quinzaine de produits de consommation courante qui contenaient l’additif E551 (dioxyde de silicium) ou E171 (dioxyde de titane). Les résultats du laboratoire sont édifiants: tous les articles analysés renferment des nanoparticules. Les additifs sont déclarés sur les étiquettes dans la liste des ingrédients, mais la mention de leur présence sous forme «nano» est cachée.
Risque sanitaire
Pour certains produits, la totalité de l’additif est nanométrique: l’antiagglomérant E551 est ainsi constitué intégralement de particules nano. Quant à la part nano de l’additif E171, elle oscille entre 26% et 73%, selon les articles que nous avons testés.
Problème: les nanoparticules se retrouvent dans de nombreux produits du quotidien sans qu’on en connaisse réellement les risques sur la santé. En passant à la taille nanométrique, les particules changent d’identité. Leur utilisation dans les aliments vise souvent à améliorer l’homogénéité des préparations ou à en modifier leur apparence. Malgré de nombreuses études, les effets de ces nanoparticules – qui dépendent de leur taille, de leur forme et de leur composition – sont encore très mal connus, et le risque sanitaire difficile à évaluer.
Enfants exposés
Dans les faits, il est compliqué d’avoir une idée précise des applications de ces technologies dans l’industrie alimentaire. En 2016, l’ONG française Agir pour l’environnement avait alerté sur leur présence dans de nombreux produits alimentaires et, notamment, dans plus d’une centaine de confiseries. «Les enfants sont en première ligne», a souligné l’association. Ils consommeraient en effet deux à quatre fois plus de dioxyde de titane que les adultes du fait de leur consommation de sucreries.
Face à la mauvaise réputation de ces substances et aux nouvelles demandes des consommateurs, les industriels envisagent de se passer de certains additifs. Plusieurs entreprises ont retiré l’E171 de leurs produits ou se sont engagées à le faire. C’est le cas de Mars, le propriétaire de la marque M&M’s, qui a annoncé en 2016, qu’il allait enlever le dioxyde de titane de son portefeuille de confiseries en Europe. La mesure devrait être effective d’ici à juin 2020. Mondelez, le propriétaire des chewing-gums V6 et Stimorol, veut aussi renoncer, à l’avenir, au dioxyde de titane à la suite de la décision française. (Lire «Pas d'interdiction prévue en Suisse»).
Nanomatériaux manufacturés?
Se passer du E551 semble plus ardu, car sa fonction est essentielle pour la conservation des poudres, mais pas pour autant impossible. L’entreprise Thai Kitchen, qui produit un lait de noix de coco en poudre, va ainsi éliminer les ingrédients controversés, tels que le dioxyde de silicium, de ses formules d’ici fin 2020.
Les autres fabricants des articles que nous avons testés n’entendent pas, pour l’instant, faire l’impasse sur ces additifs. A noter que ni Doppelherz ni Trolli n’ont répondu à nos questions, malgré nos multiples sollicitations. Au vu des réponses que les fabricants nous ont fournies, la mention du caractère «nano» sur les étiquettes est loin d’être une évidence. Plusieurs affirment en effet que les substances utilisées ne sont pas produites en tant que nanomatériaux, alors que nos résultats montrent le contraire.
Concrètement, les fabricants devront indiquer si leurs produits contiennent des nanomatériaux dits manufacturés. «L’élément décisif est de savoir si le composant a été produit intentionnellement et s’il a une propriété spéciale par rapport à la forme habituelle», explique l’OSAV.
Repérer les additifs suspects
Plusieurs fabricants nous indiquent qu’aucune réponse n’a, jusqu’à présent, été apportée à la question de savoir si l’E551 est un nanomatériau manufacturé et s’il possède des propriétés particulières sous cette forme. L’Autorité européenne de sécurité des denrées alimentaires (EFSA) examine, actuellement, si cet additif doit être considéré comme un nanomatériau manufacturé. A partir de 2021, les chimistes cantonaux effectueront des contrôles pour vérifier si l’obligation d’étiquetage est bien respectée.
Comment, dès lors, réduire l’ingestion de ces substances, si la transparence peine à s’imposer? C’est quasiment impossible de savoir si des aliments contiennent des nanoparticules. Le consommateur peut juste choisir de bannir ou de réduire au maximum les aliments renfermant les additifs suspects. Notre application Codes E permet de décoder ce que l’industrie tente de nous cacher.
Alexandre Beuchat
Pas d’interdiction prévue en Suisse
En l’absence de certitudes scientifiques sur leur innocuité, faut-il interdire la commercialisation des additifs se présentant sous forme nano? La France a décidé d’appliquer le principe de précaution en suspendant pour un an, dès le 1er janvier 2020, la commercialisation de produits contenant du E171. De son côté, la Suisse estime pour l’heure qu’il n’est pas justifié d’interdire ou de suspendre la mise sur le marché de denrées alimentaires contenant du dioxyde de titane. L’EFSA a réévalué et confirmé dans deux avis récents la sécurité de ce composant, justifie le Conseil fédéral. D’autres études plus approfondies seront achevées probablement à la mi-2020. Si de nouveaux résultats scientifiques devaient remettre en question la sécurité du dioxyde de titane ou de silicium, le droit suisse sera adapté en conséquence, précise le gouvernement. Actuellement, aucune étude sur les nanoparticules n’affirme qu’il existe un danger avéré pour l’homme.
---------------
Les critères du test
Nous avons sélectionné une quinzaine de produits de consommation courante – treize aliments et deux dentifrices – qui contenaient les additifs E551 ou E171. Un laboratoire a été chargé de déterminer le caractère nano ou non de ces composants et le pourcentage de particules nanométriques dans ces substances.
E551
Le dioxyde de silicium (SiO2) est utilisé depuis un demi-siècle comme antiagglomérant. On le retrouve dans des condiments, des poudres, du café instantané, des plats préparés, mais également des dentifrices. Longtemps considérée comme inoffensive, cette substance est désormais sujette à caution. Des scientifiques du Programme national de recherche «Chances et risques des nanomatériaux» ont montré que ces nanoparticules peuvent influer sur le système immunitaire de l’intestin, selon des essais menés avec des cultures de cellules de rongeurs.
E171
Le dioxyde de titane (TiO2) est présent dans des denrées alimentaires, telles que chocolats, chewing-gums et bonbons. On le retrouve aussi dans des dentifrices, des médicaments et des cosmétiques. Ce colorant blanc est utilisé à des fins esthétiques. Une étude de l’INRA (Institut de recherche agronomique français) réalisée sur des rats a relié l’ingestion de dioxyde de titane et le développement de lésions précancéreuses. Chez l’homme, son caractère cancérogène reste débattu en raison des limites méthodologiques des études disponibles.