La plupart des poulets de chair suisses proviennent d’exploitations comptant plus de 12 000 animaux. C’est, en tout cas, ce qui ressort des chiffres de l’Union suisse des paysans. La Suisse ne fait pas figure d’exception: dans l’Union européenne aussi, les poulets de chair sont produits en masse: on y trouve même des exploitations réunissant plus de 100 000 animaux.
Nous avons voulu savoir si de telles conditions affectent la qualité de la viande. Pour cela, nous avons envoyé 26 échantillons de viande de poulet crue réfrigérée à deux laboratoires spécialisés. Les experts ont recherché les éventuelles traces de germes dangereux pour la santé, telles que les entérobactéries, les campylobacter et les bactéries résistantes aux antibiotiques. Ils ont également recherché les éventuels résidus de médicaments (lire Les critères du test).
Le résultat coupe l’appétit: seuls neuf des 26 échantillons sont impeccables. Parmi eux, huit sont d’origine suisse. Le poulet suisse s’en sortait déjà mieux lors de notre dernier test, réalisé en 2016 (lire «Poulet: un produit sur deux contient des bactéries dangereuses»). A choisir, mieux vaut privilégier les rayons de Migros. Sur les sept produits testés, cinq n’étaient pas contaminés. L’inverse vaut chez Coop: cinq des six échantillons sélectionnés contenaient des bactéries pathogènes.
Le bio ne fait pas exception
Les experts ont trouvé des germes résistants aux antibiotiques dans quatorze poulets. Rien d’étonnant lorsqu’on sait que, selon l’Office fédéral de la sécurité alimentaire, la volaille est l’espèce animale qui compte le plus de germes résistants aux antibiotiques. Ces résultats sont en partie dus à la forte utilisation d’antibiotiques. Une étude a également montré que les poules importées en Suisse pour produire des œufs à couver sont souvent déjà porteuses de bactéries résistantes aux antibiotiques. Elles les transmettent à leurs poussins. Les antibiotiques ne sont alors pas toujours d’un grand secours lorsque ces bactéries déclenchent des infections chez l’homme.
A noter que les antibiotiques sont aussi autorisés dans le cadre d’un engraissement biologique. Selon l’Institut de recherche de l’agriculture biologique (FiBL), un poulet de chair d’élevage biologique ne peut toutefois recevoir qu’un seul traitement antibiotique pendant toute la période d’engraissement. Sinon la viande perd le label «biologique».
Les experts ont également retrouvé des campylobacter dans neuf échantillons. Présentes dans les intestins de nombreux animaux, ces bactéries peuvent provoquer, chez l’homme, de la fièvre, des crampes abdominales et des diarrhées. Les médecins suisses signalent jusqu’à 8000 infections par an. L’Institut fédéral allemand d’évaluation des risques rappelle, pour sa part, que les campylobacter représentent l’agent pathogène bactérien le plus courant des infections intestinales. Il appelle à de «nouvelles stratégies de prévention, de contrôle et de traitement». Selon l’Autorité européenne de sécurité des aliments, les principaux antibiotiques ne peuvent rien contre «une proportion considérable de campylobacter». Presque tous les pays de l’UE font d’ailleurs état de «pourcentages très élevés ou extrêmement élevés» de cette résistance. En Suisse, le «Swiss Antibiotic Resistance Report 2020» démontre que, selon l’antibiotique en question, plus de 50% des campylobacter sont résistantes.
Notre test relève par ailleurs un certain manque d’hygiène dans le processus d’élaboration. Quatre produits étaient si fortement contaminés qu’ils auraient dû être retirés de la vente. Le coquelet jaune de Globus contenait près de cent fois plus de pseudomonades que ce à quoi on pourrait s’attendre, «lorsque les bonnes pratiques d’hygiène et de fabrication sont respectées» selon la Société allemande de microbiologie. Les pseudomonades sont particulièrement dangereuses pour les personnes dont le système immunitaire est affaibli. La poitrine de poulet de Globus et le steak de poulet fermier bio de Manor étaient en outre excessivement contaminés par des entérobactéries – près de vingt fois plus que le niveau d’alerte critique. En fonction de leur type, ces bactéries intestinales peuvent déclencher des diarrhées et des infections. Les experts ont par ailleurs retrouvé des traces de la bactérie fécale E. coli, du moins en petites quantités, dans le coquelet jaune de Globus et la poitrine de poulet Prix-Garantie de Coop.
Un poulet sur trois contenait également des traces de médicaments. Notons qu’il n’est pas rare d’ajouter des médicaments à l’alimentation des poulets de chair, à titre préventif. De cette manière, les exploitants veulent prévenir les maladies intestinales potentiellement mortelles pour les bêtes. Le risque d’apparition de telles maladies augmente lorsque l’hygiène laisse à désirer ou que le nombre d’animaux dans un espace confiné est trop grand.
«Difficile d’éviter les campylobacter»
Confronté aux résultats de notre test, Bio Suisse écrit que «la présence de bactéries résistantes aux antibiotiques dans le poulet bio ne signifie pas que des antibiotiques ont effectivement été administrés pendant l’engraissement». La «contamination» pourrait venir de l’homme, de la litière, de l’eau ou des abattoirs, puisque des animaux d’élevage conventionnel et biologique y sont traités.
Le producteur suisse de volailles Frifag parle des bactéries résistantes aux antibiotiques et des campylobacter comme d’un «problème industriel». Il estime que les producteurs et le personnel des abattoirs travaillent «avec le plus grand soin», mais que, malgré cela, il est «difficile d’éviter les campylobacter».
Selon Aldi, les campylobacter sont «répandues dans l’environnement». Lidl affirme, pour sa part, que «la disponibilité et la commercialisation des trois produits testés respectent la législation suisse».
Bien cuire la viande
Galliwag, producteur du poulet d’élevage biologique de Manor, précise qu’il ne teste pas la viande dans le but de détecter les pseudomonades ou les entérobactéries. Il s’engage néanmoins à «surveiller de plus près les mesures d’hygiène». Globus promet également de «mettre en place des mesures d’hygiène». Tandis que Coop répond que la consommation de volaille reste «fondamentalement inoffensive si les instructions de préparation et d’hygiène figurant sur l’emballage sont respectées».
Il y a vingt ans, la Suisse produisait 35 000 tonnes de viande de volaille. On note un effondrement de la consommation en 2006: une étude avait alors révélé qu’un poulet sur quatre était contaminé par des salmonelles dans l’Union européenne.
En 2020, ce chiffre atteignait 108 000 tonnes. L’année dernière, 70 millions de poulets de chair ont été abattus, ce qui équivaut à une consommation de 14 kilos de poulet par habitant et par an. Rappelons qu’il est primordial de laver soigneusement ses mains, sa planche à découper et son couteau à l’eau chaude après un contact avec du poulet cru. Le jus de la viande crue ne doit se retrouver sur aucun autre aliment. Quant à la viande de poulet elle-même, elle doit toujours être bien cuite.
Sabine Rindlisbacher / sh
Les critères du test
Nous avons soumis à deux laboratoires spécialisés 26 échantillons de viande de poulet crue réfrigérée. Ils les ont analysés selon les critères suivants.
1. Nombre total de germes
Quelle est la charge microbienne totale de la viande testée? Les infections aux germes alimentaires d’origine bactérienne s’expliquent de plusieurs manières. Elles peuvent, par exemple, être dues à un manque d’hygiène lors de la transformation du produit. Un système de réfrigération inadéquat et un stockage trop long permettent ensuite aux germes de proliférer.
2. Nombre de pseudomonades
Ces bactéries se retrouvent sur la peau et dans les intestins des animaux et des humains. Chez les personnes dont le système immunitaire est affaibli, elles peuvent provoquer des infections cutanées, viscérales, urinaires ou encore des pneumonies.
3. Nombre d’entérobactéries
Les entérobactéries se retrouvent dans le sol, dans l’eau ainsi que dans les intestins des animaux et des hommes. Un nombre trop élevé est signe d’un produit contaminé ou avarié. Cela résulte généralement d’un manque d’hygiène personnelle ou matérielle. Selon la sorte de bactéries, elles peuvent provoquer des infections ou des diarrhées.
4. Nombre d’Escherichia coli
Ces germes fécaux appartiennent aux entérobactéries. Certaines souches peuvent entraîner des maladies graves, telles que des infections intestinales accompagnées de crampes abdominales et de diarrhée.
5. Nombre de campylobacter
Présentes dans les intestins de nombreux animaux, ces bactéries peuvent provoquer de la fièvre, des crampes abdominales et de la diarrhée. La cause la plus fréquente: un poulet contaminé et insuffisamment cuit.
6. Nombre de germes multirésistants
Les bêtalactamases à spectre élargi (BLSE) sont une grande famille d’enzymes bactériennes. Elles sont produites par différentes sortes de bactéries – principalement des entérobactéries – et peuvent altérer certains antibiotiques, de telle sorte qu’ils deviennent inefficaces. Le staphylocoque doré résistant à la méticilline (MRSA ou SARM) est un staphylocoque doré sur lequel certains antibiotiques ont perdu leur efficacité. Il peut provoquer des infections et des inflammations.
7. Présence de médicaments
Y a-t-il des résidus de médicaments, tels que des antibiotiques et des stéroïdes dans la viande?
8. Présence d’autres pathogènes
Le laboratoire n’a trouvé ni listeria, ni salmonelles, ni staphylocoques dans les produits testés.
Engraissement conventionnel ou biologique, quelles différences?
- Les exploitations d’engraissement conventionnelles sont autorisées à détenir jusqu’à 24 000 poulets dans un même espace à partir du 29e jour de vie. Dans les exploitations biologiques, seuls 2000 animaux sont autorisés.
- Dans le cadre d’un engraissement conventionnel, il est permis d’avoir 15 animaux de deux kilos par mètre carré. Si l’engraissement est biologique, 13 animaux sont autorisés.
- L’année dernière, un peu moins d’un poulet de l’élevage conventionnel sur cinq a pu sortir à l’air libre. Dans l’agriculture biologique, les animaux doivent sortir en plein air tous les jours.
- Les poulets d’élevage conventionnel sont abattus lorsqu’ils ont 35 jours environ. La durée minimale d’engraissement des poulets biologiques est de 63 jours.
- 90% de l’alimentation d’un poulet d’élevage biologique doit provenir de la production biologique.