Si un flot de personnes irritées vous appellent en exigeant de ne plus être importunées alors que vous ne les connaissez ni d’Eve ni d’Adam, vous êtes, selon toute vraisemblance, victime de spoofing. Ce terme anglais désigne l’usurpation d’un numéro par des tiers à des fins de démarchage commercial ou d’escroquerie.
Avec la technologie numérique, la téléphonie passe désormais par internet. Il est, de ce fait, très facile, pour l’appelant, de faire apparaître un numéro quel qu’il soit sur le combiné du destinataire. Le spoofing masque ainsi l’origine réelle de l’auteur et rend son identification complexe. Il réduit aussi la méfiance des victimes lorsque l’indicatif affiché est local, alors qu’en réalité l’appelant peut se trouver à l’autre bout du monde.
C’est une situation de ce genre qu’a récemment vécue Jacques Virchaux, de Bussigny (VD). Notre lecteur répond à un appel sur son fixe qui indique un numéro genevois (022). Au bout du fil, l’interlocuteur prétend qu’il a gagné un voyage et qu’il doit appeler un 0901 pour obtenir son gain. Sans préciser, bien évidemment, que ce service est surtaxé. Pas dupe, Jacques Virchaux ne donne pas suite. Il découvrira ensuite que le numéro genevois appartient en réalité à une dame de 92 ans.
Des conséquences pénibles
Le phénomène est en hausse sensible. Outre de nombreux particuliers, la Ville de Lausanne, la Municipalité de Genève et même la hotline internationale de Swisscom ou encore la police se sont fait voler leur numéro! A Zurich, des canailles qui tentaient d’obtenir d’importantes sommes d’argent se sont ainsi fait passer pour les forces de l’ordre en utilisant le 117.
La situation peut vite tourner au calvaire pour les personnes et les sociétés dont le contact a été usurpé. L’Hôtel Casino de Sierre (VS) a, par exemple, dû expliquer la situation jusqu’à 300 fois par jour, rapportait 20 Minutes au mois de septembre.
Pas encore de remède
Il n’existe pas, pour l’heure, de parade satisfaisante. Une plainte n’a, en effet, que peu de chances d’aboutir (lire encadré). Du point de vue technique, la loi prévoit bien, depuis 2015, que, en cas de spoofing, les opérateurs peuvent bloquer les appels abusifs, tout en permettant au client d’utiliser son numéro (art. 26a al. 3bis OST). Mais, dans la pratique, cette solution est difficile à appliquer correctement. «Nous procédons au blocage sur une période de 30 jours au plus, et nous ne pouvons pas garantir une protection complète pour des raisons techniques, affirme Swisscom. Ainsi, cette action est susceptible d’entraîner des inconvénients pour le client, qui ne sera peut-être pas toujours joignable.»
Les solutions de rechange ne sont pas légion. La victime peut faire le dos rond et attendre que l’orage passe. Swisscom a ainsi proposé à une lectrice d’activer son combox et d’expliquer dans un message qu’elle n’est pas l’auteure des appels intempestifs…
En dernier lieu, «la solution la plus efficace, bien que radicale, est de changer de numéro», lâche l’opérateur. Maigre consolation, la démarche est gratuite.
Sébastien Sautebin
Eclairage
L’usurpation en elle-même n’est pas punissable
«L’usurpation d’identité n’est, pour l’heure, pas réprimée comme telle dans le droit pénal suisse. En d’autres termes, le fait de se faire passer pour quelqu’un d’autre en utilisant son numéro de téléphone n’est pas répréhensible», déplore François Charlet, juriste spécialisé en droit des technologies. Du coup, en raison de cette lacune, il n’y a pas d’infraction et il n’est donc pas possible de porter plainte. En revanche, le but de l’usurpation est punissable. Un exemple: lorsque l’auteur cherche, par ce moyen, à se procurer un enrichissement illégitime, il peut être poursuivi pour escroquerie ou tentative d’escroquerie.
Cela ne signifie pas pour autant qu’il devra répondre de ses actes. Dans la pratique, les responsables agissent souvent depuis l’étranger, ce qui leur confère une quasi-impunité. En effet, leur identification exige une enquête longue et complexe, et la justice des pays concernés ne collabore pas toujours. Et, pour appréhender les auteurs, il faut présenter aux autorités étrangères compétentes, dans la langue correspondante, une demande d’entraide judiciaire internationale. Cette charge administrative est souvent jugée trop lourde par la justice en regard de la gravité et de l’importance des faits reprochés.