Le haut débit n’est pas un vain mot. Avec la 3G, qui s’est pointée en même temps que le XXIe siècle, il a pris un rythme soutenu. Mais la 4G, qui a suivi dix ans plus tard, nous a carrément plongé dans l’immédiat, à la maison comme dans la rue via nos smartphones: envoi d’images, vidéos et selfies dans le monde entier, streaming audio ou musical quasi sans interruption, conversation un peu partout via Facebook ou WhatsApp, accès à des services comme Uber ou Airbnb, etc. A un point tel qu’elle a tué notre patience et nous fait lorgner avec envie sur la génération suivante, la 5G, annoncée pour 2020 et censée être 100 fois plus rapide encore, ce qui permettra la connexion de milliards d’appareils (agricoles, électroménager, capteurs industriels...) mais aussi d’ouvrir une voie sécuritaire aux voitures autonomes, à la télémédecine, à la gestion de l’énergie en temps réel, etc.
Cette révolution a cependant un prix considérable: elle exige d’ajouter des milliers de nouvelles antennes aux quelques 36 000 qui rayonnent d’ores et déjà rien que pour arroser la Suisse. Des antennes qui, en plus, émettront à de très hautes fréquences, entre 30 et 300 GHz, soit à un niveau nettement plus élevé qu’aujourd’hui, avec certes l’efficacité déjà décrite, mais aussi une portée réduite et une sensibilité accrue à certains obstacles, notamment l’humidité de l’air.’’’’
Potentiellement cancérigène
Deux raisons suffisantes pour faire craindre le pire à de nombreux acteurs de la santé, dont l’Association suisse des patients, la Fédération des médecins suisses (FMH) et celle des Médecins en faveur de l’environnement (Mfe). «Les soupçons se renforcent, explique Martin Forter, directeur de Mfe. Lorsqu’ils ont publié les premiers résultats d’une vaste étude menée actuellement sur des animaux aux Etats-Unis, les experts ont souligné que le doute sur la dangerosité de ces ondes ne peut être écarté. Et une étude italienne de même envergure, publiée en mars dernier, arrive à des conclusions identiques, demandant explicitement à l’OMS de réévaluer le classement du risque lié au cancer.»
Technologie sans avenir
Car l’OMS, faut-il le rappeler, a classé, en 2011 déjà, les ondes émises par les antennes de téléphonie mobile dans le groupe «potentiellement cancérigène». Ce qui ne semble impressionner ni les opérateurs, ni l’OFCOM, ni le Conseil fédéral, qui font le forcing pour tenter de réduire les restrictions en la matière (lire encadré). «Avec, en plus, une approche qui ne tient pas la route, tant elle sera vite dépassée, commente Martin Forter. Car avec la sensibilité des ondes 5G à toutes sortes d’obstacles, la solution n’est pas d’augmenter la puissance de grandes antennes, mais de créer un réseau d’antennes plus petites, plus nombreuses mais émettant moins fort. Le problème, c’est que cela coûte plus cher. Les opérateurs préfèrent donc camper sur leur position, quitte à irradier durablement les riverains.»
Laurent Hêche
Politique: Les limites du rayonnement
Il s’en est fallu d’une voix pour que le Conseil des Etats accepte d’assouplir la protection contre le rayonnement des antennes de téléphonie mobile. Il n’empêche: le 5 mars dernier, pour la deuxième fois en 15 mois, les sénateurs ont finalement refusé de céder au lobbying des opérateurs et d’economiesuisse.
Mais, visiblement, le Conseil fédéral, ou en tous cas Doris Leuthard ne veut rien savoir, puisque la semaine d’après, elle suggérait une adaptation des mesures et du calcul du rayonnement de ces antennes, ce qui permettrait une «augmentation modérée de la capacité» des installations existantes sans assouplir les valeurs limites.
Un magnifique tour de passe-passe que l’Office fédéral de l’environnement, responsable des mesures, ne balaie pas d’un revers de la main, laissant entendre que, en effet, certains points pourraient être revus. Par exemple l’atténuation du rayonnement de certains matériaux de construction, semble-t-il sous-estimée.
Mais pour Martin Forter, directeur de Médecins en faveur de l’environnement, il ne s’agit rien d’autre que d’une revanche obstinée: «Mme Leuthard cherche simplement à contourner le problème en modifiant non pas les valeurs limites mais la façon de les mesurer, sans tenir compte des réticences des élus du peuple. Le moins que l’on puisse dire, c’est que sa démarche n’est pas très démocratique.»