La ferme de Lea et de Florian Graber* n’est pas bien grande, avec ses 10 hectares de prairie et ses 50 hectares de forêt. Et les 50 lapins d’engraissement, la centaine de poules et les quelques vaches qu’ils élèvent ne rapportent guère. Le couple le sait. Florian (42 ans) travaille donc à plein temps comme ingénieur en informatique, tandis que Léa (39 ans) s’occupe du train de campagne avec ses parents.
La vente des œufs, de la viande et des fruits, auxquels s’ajoutent quelques nuits sur la paille proposés à des vacanciers, complètent le salaire du mari. «Le tout nous permet de vivre, sans plus», précise Florian. Mais, depuis qu’il a fallu refaire le toit et que de nouveaux investissements ont été nécessaires, la ferme est dans le rouge. Du coup, l’administration fiscale a considéré qu’il ne fallait plus la considérer comme une activité lucrative indépendante, mais comme un hobby, une désignation à ne surtout pas prendre à la lettre. Sur le plan fiscal, en effet, un hobby ne doit pas être considéré comme un passe-temps ou un loisir, mais comme une activité engendrant des pertes sur le capital privé, non déductible du revenu.
Conséquence directe pour les Graber: les frais ne peuvent plus être déduits des impôts. Maigre consolation: les revenus de la ferme ne seront pas taxés non plus.
Assez fréquent
Cette malheureuse expérience est plus fréquente qu’on l’imagine. Pas de problème lorsqu’on pratique une activité sous forme de hobby et qu’elle rapporte à l’occasion quelques sous. Le peintre, le musicien, le galeriste ou le collectionneur n’annonceront pas leurs maigres revenus, tout comme ils ne chercheront pas à déduire leurs frais, et on n’en parle plus. Mais la situation devient nettement plus complexe lorsque le contribuable souhaite en faire une activité lucrative secondaire, car l’intention ne suffit pas. Il faut donner la preuve que c’est possible, et donc en tirer concrètement un revenu. Or, les premières années surtout, il est courant que les dépenses soient supérieures aux entrées.
Mais, comme le rappelle le Tribunal cantonal du Jura dans un arrêt de 2011, «il peut s’avérer difficile de déterminer à partir de quel moment s’opère la transition entre une situation de déficit passager et une situation de déficit durable». En règle générale, elle semble ne pas dépasser trois à quatre ans. Mais, plus que sur la durée, la jurisprudence insiste sur la possibilité que, compte tenu de l’ensemble des circonstances, l’activité remise en question a, ou a encore un avenir, au point qu’un investisseur raisonnable serait disposé à en financer la poursuite.
Exemple avec le cas jugé par le tribunal précité. Un couple marié exploite un hôtel-restaurant, une activité censée compléter les rentes du mari, ainsi que les revenus de l’épouse comme sommelière dans ce même établissement. Or, douze ans durant et de suite, les déficits s’accumulent. Dès lors, le fisc refuse que les pertes continuent d’être déduites du revenu imposable et, parallèlement, renonce à taxer les revenus de madame. Une décision confirmée par les juges, lors du recours tenté par le couple.
L’inverse est vrai aussi
Mais si un hobby rapporte soudain beaucoup, comptez sur le fisc pour tenter de le transformer en activité lucrative! On en veut pour preuve un autre exemple jugé par le Tribunal fédéral: un couple vaudois déclare un revenu nul mais une fortune de presque 3 millions de francs. Sur demande, il précise que ses ressources proviennent de la vente d’affiches anciennes faisant partie de la collection personnelle de l’époux, commencée dès sa jeunesse. Et que les ventes réalisées durant l’année fiscale en question s’étaient montées à 300 000 dollars.
Ni une ni deux, le fisc considère ce montant comme un revenu issu d’une activité lucrative et non d’un hobby comme jusqu’alors, ce que le couple conteste. En vain: le tribunal confirme que, vu les sommes en jeu et dès le moment que plusieurs ventes régulières ont permis d’assurer un train de vie confortable au couple depuis plusieurs années, il s’agit d’une stratégie commerciale visant la réalisation d’un profit, et non plus d’un hobby.
* Noms d’emprunt.
Christian Chevrolet / Fredy Hämmerli