Un Monsieur est venu chez moi et m’a dit poliment qu’il fallait régler mon retard, sinon je devrais rendre la voiture à la fin du mois. Il m’a affirmé aussi que son déplacement me serait facturé 400 fr.», explique Sylvie Martinez (photo). Notre lectrice de St-Cergue (VD) avait conclu un leasing avec General Motors Financial Suisse pour une Opel Mokka en 2017. Elle assure qu’elle n’avait plus de retard de paiement quand elle a reçu cette visite inopinée à fin août, et qu’elle n’avait pas reçu de rappel préalable.
De son côté, Opel affirme que sa cliente n’avait pas réglé «1,5 versement» lorsqu’il a mandaté une société de recouvrement partenaire pour se rendre chez sa cliente! Le constructeur précise avoir envoyé plusieurs rappels. Les premiers seraient revenus en retour, car notre lectrice avait déménagé sans prévenir. D’autres auraient suivi à sa nouvelle adresse.
Une pratique abusive
Voilà un bel imbroglio. Mais ce qui surprend le plus dans cette affaire et qui choque, c’est la visite à domicile d’un agent mandaté par le créancier. Aux yeux de l’avocat Grégoire Geissbühler, auteur d’une thèse de doctorat sur le recouvrement privé des créances en Suisse, «il s’agit là d’une pratique abusive». Le spécialiste souligne que cela fait subir une pression excessive au débiteur et que «le risque d’atteinte à la personnalité est d’autant plus élevé que des tiers peuvent être présents».
Quant aux frais évoqués par l’agent, ils sont illégaux s'ils ne figurent pas clairement dans le contrat sous la forme d’un montant fixe ou facilement calculable. Et même si tel est le cas, ils ne doivent pas être excessifs, c’est-à-dire représenter «10% à 20%» au maximum du montant de la créance». Or, il est question, ici, d’une somme de 400 fr. pour une dette, selon une copie de rappel fournie par Opel, de 391.20 fr. La société de recouvrement n’a toutefois pas encore envoyé la facture.
Mais alors, comment de tels agissements sont-ils possibles? Il faut savoir qu’il n’existe pas de législation spécifique encadrant les agissements des sociétés de recouvrement en Suisse (lire encadré). Du coup, les positions divergent considérablement dans l’interprétation du droit existant. Côté créancier, Opel se défend d’avoir poussé le bouchon trop loin.
En dernier recours
«De notre point de vue, il ne peut pas être question, ici, de comportement abusif, explique Lukas Hasselberg porte-parole du constructeur automobile, car nous protégeons nos intérêts par un recouvrement de créances sur place uniquement en cas de rupture de contrat et agissons de manière juste et appropriée en le faisant.» Selon lui, la décision est prise au cas par cas, et les visites à domicile constituent vraiment le dernier recours. «L’historique de la cliente, qui avait déjà eu plusieurs retard en 2018, son manque de réaction, la durée de l’arriéré et les retours de courriers ont été décisifs ici.» Quant aux frais de déplacement, le constructeur botte en touche en écrivant qu’ils sont facturés par le prestataire de services.
La pratique de la visite à domicile est également défendue par l’Association suisse des sociétés fiduciaires de recouvrement (VSI). Ses directives, contraignantes pour ses membres, stipulent que «les contacts téléphoniques ainsi que les visites personnelles sont autorisés, mais ne doivent pas être utilisés à titre de menaces». La VSI n’a pas établi de règle concernant les frais facturés des déplacements à domicile, mais sa présidente Eveline Küng estime que, «en règle générale, l’indemnité kilométrique devrait être d’environ 70 ct./km».
Ainsi, les divergences sont profondes, et mettent en évidence l’intérêt que présenterait une législation spécifique claire. Une belle occasion de faire avancer les choses pour la nouvelle Assemblée fédérale?
Sébastien Sautebin
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Loi suisse très insuffisante
Il n’existe pas de réglementation suisse du recouvrement privé de créances. «Du point de vue du droit, ce vide apparent est comblé par un retour aux règles habituelles de protection de l’individu, qu’elles relèvent du droit civil, du droit de la concurrence ou du droit pénal», explique Grégoire Geissbühler, avocat. Cette situation souffre d’un défaut majeur: chaque question ou situation litigieuse nécessite une analyse juridique parfois complexe. Il en résulte notamment que nombre de consommateurs estiment plus simple et moins cher de payer les frais demandés par les sociétés de recouvrement, plutôt que de réagir.
Pour Grégoire Geissbühler, «la loi suisse reste très insuffisante et, sans une législation claire et accessible aux débiteurs, doublée d’une autorité chargée de l’appliquer et de sanctionner si nécessaire, les abus se poursuivront». Malheureusement, le Parlement et le Conseil fédéral se sont montrés jusqu’à présent très frileux à l’idée de légiférer dans ce domaine.