Les pesticides sont de plus en plus décriés pour leurs effets nocifs sur la santé et l’environnement. L’impact des produits phytosanitaires alarme une frange toujours plus large de la population. L’ampleur de notre exposition reste toutefois mal connue. C’est la raison pour laquelle nous avons voulu tester les urines de trente personnes réparties dans toute la Suisse.
Deux laboratoires spécialisés ont été chargés d’analyser les échantillons, afin de déceler les produits de dégradation (métabolites) d’environ 60 pesticides (lire «Déroulement du test»). Les résultats sont inquiétants: cinq métabolites ont été retrouvés dans l’urine la moins contaminée et dix-sept dans celle qui était la plus polluée. Or, la plupart de ces composants sont très nocifs (voir tableau). Ils sont soupçonnés de provoquer des cancers, des anomalies génétiques ou, en cas d’exposition prolongée, des lésions aux organes. Les effets délétères de plusieurs d’entre eux ont déjà été prouvés.
Substances interdites
Constat particulièrement alarmant, plusieurs résidus n’auraient pas dû être décelés, car ils proviennent de pesticides interdits en Suisse et dans l’Union européenne. Il est cependant possible d’importer en Suisse des aliments qui ont été traités avec ces produits dans les pays d’origine. Trois substances non autorisées ou bientôt interdites ont été identifiées dans tous les échantillons.
Les quantités mesurées sont également préoccupantes. Une personne sur trois était fortement contaminée par au moins un pesticide. Les résultats montrent que l’alimentation bio ne protège que partiellement. Si les individus qui ont mangé bio sont certes moins touchés, ils n’échappent toutefois pas totalement à ces produits toxiques.
Des sources multiples
Il est impossible de déterminer clairement comment les consommateurs de bio ont été exposés à des pesticides dangereux, voire carrément interdits! On sait qu’ils peuvent être transportés par le vent et l’eau depuis des champs traités vers les cultures biologiques. L’an dernier, une étude choc de l’Université de Neuchâtel a établi qu’on trouvait des traces d’insecticides dans la quasi-totalité des champs bio du Plateau suisse. Nos nombreux tests montrent néanmoins que la contamination des produits bio non transformés (fruits, légumes, etc.) est moindre par rapport à ceux de l’agriculture conventionnelle.
Il n’y a toutefois pas que l’alimentation qui soit problématique. D’autres sources de pollution proviennent de l’environnement direct. C’est notamment le cas des pesticides utilisés à domicile qui pénètrent par la peau et l’air qu’on respire. Ce sont tous ces produits utilisés dans la vie de tous les jours sans aucune méfiance, que ce soit en aérosol, en diffuseur ou en spray qui posent problème. On pense aux produits antiparasitaires employés pour lutter contre les mites, les puces (collier pour animaux, etc.), les poux ou d’autres insectes. Les solutions pour traiter le bois ou les plantes d’intérieur font aussi partie des articles à éviter ou à utiliser avec la plus grande parcimonie.
Protection insuffisante
Quoi qu’il en soit, il est incontestable que les consommateurs ne sont pas suffisamment protégés contre les pesticides. Et nos autorités ne brillent pas par leur réactivité. Trois substances retrouvées sont déjà interdites dans l’UE depuis août 2019. En Suisse, leur utilisation est autorisée jusqu’à fin juin. La sensibilité sur ce thème ne cesse toutefois de croître, alors que la population sera appelée à s’exprimer prochainement sur une initiative visant à interdire tout produit phytosanitaire de synthèse dans la production agricole.
Symbole de la lutte contre les pesticides, le glyphosate figure parmi les cinq substances les plus vendues en Suisse. Des traces ont été retrouvées chez neuf personnes sur trente. Cet herbicide très controversé a été qualifié, en 2015, de «probablement cancérogène» par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). L’entreprise allemande Bayer croule sous les plaintes aux Etats-Unis. Des milliers de personnes atteintes de cancer attribuent la cause de leur maladie à l’utilisation du désherbant Roundup, de sa filiale Monsanto.
Nous avons confronté l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG) et l’Office fédéral de la sécurité alimentaire (OSAV) à nos résultats. «La détection de résidus de pesticides dans les urines ne constitue pas encore un danger pour la santé», affirment-ils. Les résidus pourraient provenir d’aliments importés de pays tiers. «Ils doivent être inoffensifs pour la santé, sinon les denrées ne peuvent pas être importées», arguent-ils. En coulisses cependant, la nécessité d’agir est reconnue: depuis le 1er mai, les aliments provenant de pays extérieurs à l’UE doivent être soumis à des tests renforcés.
Effet cocktail
Reste que, seul, le respect des limites maximales est contrôlé. Le problème est que nous mangeons chaque jour plusieurs aliments qui peuvent être contaminés. Or, il n’y a aucune limite pour ces cocktails, alors qu’il a été prouvé que, cumulées, ces substances, peuvent renforcer leurs effets nocifs.
Aussi, lorsqu’on entend nos autorités prétendre que «la population suisse est protégée contre les effets négatifs possibles des pesticides», les doutes sont légitimes. D’autant que nous n’avons pas testé toute la gamme des produits utilisés. La plupart d’entre eux ne sont pas encore détectables dans l’urine. Les résidus trouvés dans les échantillons ne reflètent donc qu’une partie de l’exposition réelle. «Il faut supposer que l’urine des personnes testées était encore plus contaminée», estime le professeur responsable des tests en laboratoire, Thomas Göen.
Alexandre Beuchat / Sabine Rindlisbacher
Déroulement du test
Trente personnes résidant en Suisse, âgées de 3 à 74 ans, ont donné leur urine. Une moitié a consommé principalement des aliments bio, la semaine avant le test. L’autre a mangé essentiellement des produits conventionnels.
De nombreux pesticides sont rapidement décomposés dans l’organisme et sont excrétés par le corps après quelques heures. Seuls les produits de dégradation peuvent être décelés dans l’urine. Dans le cas de certains résidus, les métabolites peuvent correspondre à plusieurs pesticides.
L’Institut pour la médecine du travail et de l’environnement de l’Université de Erlangen (D) a analysé les échantillons d’urine pour détecter les résidus d’environ 60 pesticides. Le Laboratoire médical de Brême a, pour sa part, recherché, le glyphosate et son produit de dégradation, l’acide aminométhylphosphonique (AMPA).
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Des pesticides très toxiques et interdits
Chlorpyrifos, chlorpyrifos-méthyl
Ces produits peuvent endommager le cerveau des embryons, des jeunes enfants et sont très toxiques pour les insectes, les oiseaux et les animaux aquatiques. Le chlorpyrifos et le chlorpyrifos-méthyl sont interdits depuis février dans l’Union européenne (UE). En Suisse, les fabricants comme Syngenta sont parvenus à retarder l’interdiction jusqu’à fin juin.
Naphtalène, carbaryl
Ces insecticides, interdits en Suisse et dans l’UE, sont soupçonnés d’être cancérogènes. Le naphtalène appartient à la famille des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP). Il peut irriter les voies respiratoires et provoquer des maux de tête.
Parathion, parathion-méthyl, EPN
L’OMS a classé ces substances, interdites en Suisse et dans l’UE, comme des pesticides «extrêmement dangereux». Le parathion provoque des lésions aux organes en cas d’exposition prolongée ou répétée. Le parathion-méthyl est, lui aussi, soupçonné de causer de tels dommages. Quant à l’EPN, il présente des risques sanitaires et chroniques aigus.