Depuis l’introduction du Nutri-Score en France en 2017, les industriels et les distributeurs ont reformulé la recette de nombreux produits afin d’en améliorer le résultat lors du calcul de l’algorithme. Mais ces produits sont-ils réellement devenus plus sains? La question se pose lorsque l’on voit, par exemple, que les industriels ont souvent recours aux édulcorants, pour réduire le sucre dans leurs produits, ce qui au final n’est pas beaucoup mieux pour la santé. L’impression se confirme lorsque l’on jette un œil dans des publications spécialisées de la branche. Dans une publicité vantant l’amélioration du Nutri-Score grâce à un additif à base de fibres de pommes et agrumes, on nous explique qu’une note de A ou B «requiert des solutions alimentaires intelligentes». Autre exemple: lors d’une conférence, le fabriquant français d’ingrédients alimentaires IMCD a montré comment le Ketchup peut passer d’une note D à une note C en remplaçant une partie du sel par un exhausteur de sel, rapportait la publication spécialisée Foodaktuell en juillet dernier.
Outre la révision des recettes, certaines branches espèrent améliorer leurs notes en faisant appel aux politiques dans le but de changer le calcul du Nutri-Score. C’est la démarche choisie par Fruit-Union Suisse. En août dernier, l’organisation des producteurs de fruits suisses a envoyé un courrier à Berne, dont Ma Santé a obtenu une copie, demandant que les jus de fruits soient considérés comme des aliments au lieu de boissons. Le but: pouvoir afficher un Nutri-Score plus favorable. Swissfruit argumente que les ventes de jus de fruits sont déjà en recul et qu’un mauvais score pourrait leur être fatal. Cela serait d’autant plus déplorable, que la culture des fruits est importante pour la biodiversité, souligne l’organisation.
Le Nutri-Score semble donc attaqué de toute part. Qu’en pense Serge Hercberg, le nutritionniste français, professeur émérite à la Sorbonne, qui l’a créé? Nous lui avons posé la question.
Entre les édulcorants pour remplacer le sucre et les initiatives pour faire modifier le Nutri-Score, on a l’impression que la branche agro-alimentaire triche pour contourner les mauvaises notes. Quel est votre constat?
C’est vrai que l’on se heurte encore à des lobbys qui tentent de torpiller ou détourner le Nutri-Score. Mais en ce qui concerne les reformulations de recettes, il y a de vraies améliorations portant sur le choix des ingrédients. Pour prendre un exemple, la marque Fleury Michon a revu sa recette de surimi en mettant davantage de poisson. Intermarché, de son côté, arrive à améliorer ses produits sans utiliser d’additifs.
Vraiment, alors même que le Nutri-Score ne prend pas en compte les additifs?
Oui. Les consommateurs sont très sensibles aujourd’hui à la présence d’additifs. Cela irait contre leur demande que d’en ajouter et serait suicidaire pour les industriels. Mais le véritable problème avec les additifs, c’est surtout de limiter leur utilisation et les interdire si on démontre leur effet négatif.
Le Nutri-Score est toutefois souvent critiqué pour ne pas avoir intégré les additifs dans le calcul.
Il n’est pas possible de synthétiser toutes les dimensions santé des aliments dans un indicateur unique. Outre les additifs, il y aurait notamment les pesticides ou encore les substances migrant des emballages dont il faudrait tenir compte. Pour s’en protéger, le principe de base est simple: il vaut mieux manger des aliments bruts et réduire les aliments ultra-transformés. Et quitte à acheter un aliment transformé, il y a 3 critères à observer: le Nutri-Score, la longueur de la liste des ingrédients – le plus court est le mieux – et si c’est bio ou pas.
Une entreprise allemande a mis au point une poudre à base de fibres de fruit qu’elle vend comme produit miracle pour faire grimper le Nutri-Score. Est-ce que les aliments deviennent vraiment plus sains avec de tels ingrédients?
Le Nutri-Score se compose de 15 points positifs pour les bons éléments (fibres, protéines, fruits et légumes…) et de 40 points négatifs pour les nutriments défavorables (sucre, sel, graisse…). Il est donc difficile d’obtenir une très bonne note uniquement en augmentant la part des nutriments bénéfiques. Il faut forcément aussi réduire les éléments défavorables.
L’Organisation suisse des producteurs de fruits demande que les jus soient considérés comme des aliments, et non comme des boissons, ce qui leur conférerait un Nutri-Score plus avantageux. Une demande similaire a été émise en Allemagne. Ces pressions remontent-elles jusqu’à vous?
Nous remarquons que les lobbys s’agitent, car le processus de première mise à jour du Nutri-Score, prévu 3 ans après son introduction, va débuter prochainement au niveau européen. Chaque pays ayant adopté le Nutri-Sscore va désigner des experts pour participer aux travaux. Il s’agit d’adapter le Nutri-Score en fonction uniquement des nouvelles connaissances scientifiques en nutrition. Les demandes sans fondements scientifiques, comme celle concernant les jus de fruits, ne peuvent être prises en compte.
Qu’est-ce qui pourrait changer lors de cette mise à jour?
Sans doute, le comité se penchera sur le positionnement des boissons édulcorées, car de nouveaux travaux ont été publiés depuis la sortie du Nutri-Score. Et il est vraisemblable que d’autres thèmes seront abordés: mieux positionner les pâtes et riz complet par rapport à leur version raffinée ou encore la prise en compte de la nature des protéines.
Et la revendication sur les jus de fruits?
Non. Cela n’est absolument pas justifié sur le plan scientifique! Les jus de fruits contiennent autant de sucre que les sodas. Ils doivent donc être consommés en quantité limitée.
Sandra Porchet
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A quoi sert vraiment le Nutri-Score?
«Il vise à aider le consommateur à comparer les produits d’une même catégorie et à faciliter son choix», explique Serge Hercberg, le père du Nutri-Score. «Au niveau sanitaire, son but est de contribuer à réduire les maladies cardio-vasculaires.» Le chercheur et son équipe ont publié l’an dernier une étude évaluant que 3,4% des décès dus à des maladies non transmissibles liées à l’alimentation peuvent être évités grâce au Nutri-Score.
Mais attention, il faut comparer ce qui est comparable, souligne le professeur Hercberg. Au sein d’une même catégorie de produits, les notes peuvent varier. «Nous avons par exemple constaté que les pizzas quatre-fromages obtiennent des notes allant de C à E.»
Si cela semble simple, des incompréhensions subsistent. Certaines personnes sont par exemple surprises de voir un C orange affiché sur les huiles d’olive que l’on dit pourtant bénéfiques pour la santé. «C’est qu’il faut comparer l’huile d’olive aux autres matières grasses», explique le professeur à la Sorbonne. On remarque alors que, par exemple, l’huile de tournesol est classée D. En conséquence, on privilégiera l’huile d’olive à d’autres huiles (lire page 8).
La Suisse a adopté le Nutri-Score et travaille à son introduction. Celle-ci se fera de manière volontaire, la branche de l’agro-alimentaire s’étant battue pour éviter une obligation, souffle l’Office fédéral de la sécurité alimentaire (OSAV). Pour l’instant, le système de notation n’est pas encore très répandu. Pour combler cette lacune, Ma Santé et Bon à Savoir mettent à disposition l’application Nutriscan+ qui permet de visualiser le Nutri-Score des produits directement sur son téléphone portable (voir ci-contre).