C’est lors d’un repas au restaurant, il y a deux ans, que la maman d’Anna* s’est rendu compte que quelque chose clochait. A cause du bruit ambiant, Nathalie* s’est approchée de l’oreille gauche de sa fille d’alors tout juste 5 ans pour lui parler, et celle-ci a tendu l’autre oreille. Un peu plus tard, le même scénario se reproduit. Nathalie décide de faire contrôler l’ouïe de sa fille. Là, c’est le choc: Anna est complètement sourde de l’oreille gauche. Son oreille droite fonctionne heureusement parfaitement. Après avoir encaissé le coup, la famille zurichoise s’interroge: comment cette surdité a-t-elle pu passer inaperçue, alors même qu’à sa naissance, Anna avait effectué le dépistage néonatal devenu pratiquement systématique en Suisse? Nathalie contacte le médecin qui avait à l’époque conduit le dépistage. C’est un nouveau choc: il lui dit qu’effectivement, l’oreille gauche n’avait pas réussi le test mais que, l’oreille droite ayant été validée, le dépistage avait été considéré comme réussi.
Dépistage bilatéral pas encore généralisé
Ce pédiatre n’avait fait que suivre les recommandations en vigueur pour le dépistage auditif. Depuis son introduction, au début des années 2000, le test était considéré comme réussi lorsqu’une des deux oreilles était validée. Si la première oreille contrôlée passait, le test s’arrêtait là. En 2019, toutefois, les recommandations ont été modifiées pour encourager le dépistage bilatéral, donc avec deux oreilles validées. Selon un sondage non exhaustif de Ma Santé, cette nouvelle approche prend du temps à se mettre en place. Le CHUV (Centre hospitalier universitaire vaudois) et les HUG (Hôpitaux universitaires de Genève) ont changé leurs protocoles en 2018 déjà. L’HFR (Hôpital cantonal de Fribourg) n’applique le principe bilatéral que depuis le début de cette année. A l’Hôpital du Valais, si la première oreille est validée, le dépistage est réussi. Mais si la première oreille ne passe pas, l’enfant devra passer des examens plus approfondis.
Difficile de cerner le nombre d’enfants qui, comme Anna, sont passés entre les mailles du filet, car il n’y a pas de statistiques systématiques. Aux HUG, où ont lieu environ 4000 naissances par année, ce sont environ 130 nourrissons recalés en plus. Sur ce nombre, un seul présente effectivement une perte auditive unilatérale.
Trop cher pour peu de cas
Pourquoi avoir attendu près de vingt ans pour effectuer un dépistage complet? C’était une question de coûts et de temps par rapport à un nombre faible de situations problématiques, explique Hélène Cao-Van, ORL-pédiatre aux HUG et co-autrice des nouvelles recommandations. Aux HUG, l’introduction du dépistage bilatéral représente 1,5 poste de travail en plus, afin d’effectuer systématiquement le contrôle des deux oreilles ainsi que le dépistage de suivi, en cas d’anomalie lors du premier dépistage. Et de noter que les surdités unilatérales étaient découvertes au plus tard entre 4 et 6 ans, selon les cantons, lors du dépistage auditif scolaire.
Ce qui a motivé les nouvelles recommandations, c’est l’évolution de la médecine. Ainsi, l’infection au cytomégalovirus (CMV) congénitale, responsable d’un grand nombre de surdités unilatérales à la naissance, peut être traitée depuis quelques années. Dépister ces surdités fait donc sens, explique Dre Cao-Van.
On comprend aussi mieux l’impact des déficits unilatéraux, comme des difficultés à se concentrer. En effet, les surdités unilatérales influencent la capacité de l’enfant à s’orienter et à hiérarchiser les sons dans le bruit. Une prise en charge des surdités unilatérales dans les premières années de vie permet une mise en place adéquate des voies auditives centrales, le système qui permet au cerveau de traiter les informations auditives, explique Anne-Claude Guinchard, ORL-pédiatre agréée au CHUV. Après 4 à 5 ans, si une oreille n’a jamais été utilisée, les performances auditives cérébrales diminuent du côté atteint.
C’est le cas chez Anna, dont la maman est partagée entre un sentiment de colère et de culpabilité de ne rien avoir remarqué plus tôt. A maintenant 7 ans, la fillette porte en classe un amplificateur sur son oreille valide, relié à un micro que porte sa maîtresse, afin de mieux distinguer les paroles de l’enseignante du bruit ambiant.
*Noms connus de la rédaction
Sandra Porchet
Problème lors du dépistage néonatal? Pas de panique!
Si un problème est détecté lors du dépistage néonatal, cela ne veut de loin pas dire que votre enfant est malentendant. Anne-Claude Guinchard, ORL-pédiatre agréée au CHUV, estime à environ 10% le nombre de nouveau-nés chez qui le test ne réussit pas en première intention. Il y a beaucoup de faux positifs, explique-t-elle. Cela peut être dû à du liquide dans l’oreille moyenne ou un conduit auditif encore étroit. Au final, une surdité (uni- ou bilatérale) est diagnostiquée pour 1 à 3 nouveau-nés sur mille.