La seule évocation de ce nom déchaîne les passions. La Poste. Pas une semaine ne passe sans que Bon à Savoir ne reçoive des messages de lecteurs au sujet de hausses de prix, de fermetures d’offices, de numérisation des services, de retards dans les livraisons de colis ou de petits et grands soucis liés à cette institution suisse emblématique.
Avec cette impression de payer toujours plus cher pour des prestations qui se délitent. Et que, face aux remarques, La Poste fait la sourde oreille.
Pas de retour en arrière
Qu’en est-il? Premier constat: les coûts augmentent et des offres autrefois assurées le sont moins efficacement. Posté après 18h30, un vendredi, votre courrier A pourra prendre quatre jours avant d’arriver. Sur 14 414 boîtes aux lettres, seules 4009 sont vidées le samedi contre 11 400 jusqu’en juin. Ces changements se font au profit de nouveaux usages comme ceux des automates à colis en ville. Aucun retour en arrière n’est envisagé: la stratégie implique la perte définitive de certaines prestations.
Trois conseillers nationaux ont pris le temps d’analyser la situation. Le libéral-radical Olivier Feller, basé dans le canton de Vaud, le Jurassien Pierre-Alain Fridez et Valérie Piller Carrard, de Fribourg. Ces deux derniers sont socialistes, tout comme Christian Levrat, futur président du Conseil d’administration de l’institution.
La Poste a elle aussi fait preuve d’une grande diligence... non sans langue de bois. Son responsable communication pour la Suisse romande, Laurent Savary, n’a pas esquivé les questions. Et affiché une sincère compréhension pour les problèmes des personnes âgées, en zones périphériques ou à mobilité réduite.
Coup de grâce au village
Car c’est surtout là que le bât blesse, se désole Pierre-Alain Fridez. L’adaptation aux usages numériques n’a pas les mêmes conséquences pour les jeunes urbains actifs que pour les seniors vivant hors des villes.
Dans les villages, quand La Poste ferme à son tour après la disparition de la banque, du boucher ou du restaurant de la place, le geste est perçu comme un coup de grâce. «C’est une question de société», répond Laurent Savary.
«On nous demande parfois d’installer un automate à billets. Mais les retraits sont aussi en chute libre.» Les fermetures d’offices se poursuivront jusqu’en 2022, annonce La Poste. Qui propose un service à domicile dans certains cas. «Essayez! Essayez l’alternative», encourage Laurent Savary. Elle permet de timbrer une lettre ou d’effectuer des paiements en espèces et avec son carnet jaune depuis son palier de porte. Pratique. Parfois davantage que l’ancienne Poste. Mais cela nécessite l’usage d’internet: de quoi freiner les seniors peu connectés. Les visions d’avenir auraient-elle oublié trop vite la réalité du présent?
Automates en ville
Pendant ce temps, les milieux urbains voient fleurir des automates à colis, permettant de les envoyer et de les réceptionner à toutes les heures. Un service novateur qui a un coût. Sur les 3 milliards de francs d’investissements de La Poste entre 2021 et 2025, les trois quarts sont dévolus à la logistique, en particulier pour les colis en plein boom.
Des investissements permis grâce aux bénéfices accumulés par La Poste – 247 millions consolidés pour le premier semestre 2021. Celle-ci reverse 50 millions de francs par an en dividendes à la Confédération, son actionnaire unique.
La Poste affirme avoir besoin de ces bénéfices pour assurer ses investissements et continuer d’assumer le service universel sans subvention. Olivier Feller, lui, ne comprend pas que le service universel rapporte autant de bénéfices grâce à des prix qui augmentent, tandis que le service diminue. «Le courrier A est, en pratique, moins accessible. Il y a des irrégularités dans les livraisons. L’adaptation des tarifs pourrait se justifier s’il n’y avait pas une diminution des prestations.»
L’élu craint également les annonces de privatisation de PostFinance qui apporte une stabilité financière à l’entreprise.
Les laissés-pour-compte
A Berne, nos élus interrogés regrettent les méthodes cavalières de La Poste, comme la mise devant le fait accompli pour les fermetures d’offices. Voire malsaines, lorsqu’elles rendent rédhibitoires certaines transactions en les surtaxant pour, ensuite, déclarer qu’elles sont peu utilisées et justifier leur suppression. Ce qui est arrivé aux versements aux guichets.
C’est le moment où La Poste mise sur la langue de bois. Pour toute réponse, Laurent Savary explique que le but est de trouver le bon compromis «sans laisser qui que ce soit au bord de la route». Devant ces faits, rien ne nous garantit pour l’heure que promesse sera tenue.
Tarifs à la hausse
La Poste a annoncé en août une hausse des prix de ses prestations. Le coût d’une lettre en envoi international passera de 1.40 fr. à 1.80 fr. Les réexpéditions de courrier pour un déménagement augmenteront de 50%, passant, pour le service sans option, de 30 à 45 fr. pour une période de 12 mois. Cette hausse pourrait rapporter jusqu’à 7 millions de francs supplémentaires par an.
Le prix des envois de lettres en Suisse prendra également l’ascenseur: 10 centimes pour le courrier A, qui passe à 1.10 fr., et 5 centimes pour le courrier B qui coûtera 90 centimes. Quelques exemples parmi une longue liste. Et un choix nécessaire pour Laurent Savary, responsable communication de La Poste: «Certains tarifs n’avaient pas évolué depuis dix-huit ans. Ces bénéfices permettent de développer nos infrastructures afin de s’adapter à la demande, comme l’augmentation du trafic des colis.»
Le nombre d’offices chute
Depuis vingt ans, les offices de Poste n’ont cessé de se raréfier en Suisse. Une tendance souvent médiatisée qui s’accompagne de mobilisations populaires. En 2000, on comptait encore 3400 officines. Douze ans plus tard, ce nombre avait diminué de moitié, s’établissant à 1752. L’entreprise a pour objectif de les stabiliser à environ 800 d’ici à 2024 dans son programme de restructuration en profondeur. Une stratégie de transformation du service à laquelle le consommateur fait face sans réellement pouvoir agir. Pour Laurent Savary, l’entreprise ne fait que s’adapter à la demande: «Le nombre d’opérations au guichet ne cesse de diminuer. Et, lorsque des offices sont transformés, ils sont très souvent remplacés par des alternatives comme des filiales en partenariat ou un service à domicile parfois complété par des points de retraits de colis.» Ces changements engendrent des disparités entre les zones d’habitation et forcent le consommateur à s’adapter.
Vers la fin du courrier A?
Où est passé notre courrier A? Dans de plus en plus de cas, les envois prioritaires n’atteignent leur destinataire que le surlendemain, voire quatre jours plus tard selon le jour de la semaine. Une conséquence directe de la décision prise, cet été, par La Poste de restreindre les levées de la plupart des boîtes aux lettres publiques au matin seulement. La Poste explique ce choix par la baisse du nombre de lettres envoyées ces dernières années. De quoi se questionner sur la qualité du service. Envoyer une lettre en courrier A sera-t-il encore possible dans dix ans? «Et pourquoi pas? En attendant, je ne peux que conseiller à la population d’être attentive à l’heure de levée indiquée sur les boîtes aux lettres publiques afin d’optimiser le temps de livraison», précise Laurent Savary.
Pourtant, parmi les services proposés par La Poste, le courrier A demeure l’une des prestations les plus emblématiques. Pour preuve, ces envois prioritaires ont représenté 30% des 1705 millions de lettres adressées en Suisse en 2020.
Numérisation en marche
Bien malin qui aurait pu prédire que, en 2021, nous effectuerions un versement à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. Aujourd’hui en Suisse, l’application de La Poste équipe un tiers des smartphones et le numérique n’est plus une option.
De quoi satisfaire une grande palette de clients, se réjouit Laurent
Savary. Avec une contrepartie, notons: l’utilisateur fournit un travail autrefois exécuté par les guichetiers.
Et les personnes peu à l’aise avec l’informatique? Des cours permettraient de mieux les intégrer. Des essais ont d’ailleurs été menés au Tessin en collaboration avec Pro Senectute. L’élue Valérie Piller Carrard, qui observe des lacunes dans la maîtrise de ces outils parmi toutes les générations, serait favorable à ce type de formations.
Elle voit dans la numérisation de futures missions possibles pour La Poste: dossier électronique du patient, vote en ligne ou identité numérique. Autant de tâches qui font perdre de vue un peu rapidement le droit au service universel du «classique» envoi de lettres, lequel demeure fondamental.
Laura Drompt / Guillaume Joly
Des photocopies à prix d’or
Payer cinq fois plus cher pour une offre identique: telle est la douloureuse expérience qu’a vécue l’une de nos lectrices au mois de janvier. Cette habitante de Penthalaz (VD) a pour habitude de faire des photocopies à l’office de Poste de son village. Lors d’un passage en début d’année, le prix de l’opération lui a été facturé 1 fr., contre 20 centimes auparavant. Interpellée sur cette augmentation de tarif, La Poste explique: «Ces ajustements ont été effectués dans toutes les filiales de Suisse en mars 2020. Depuis cette date, La Poste fait la distinction entre le libre-service et les copies réalisées par notre personnel.» L’entreprise ajoute que, avec cette offre, elle souhaite s’adresser à un segment de clientèle «moins enclin à la technique». La transition numérique du service public a parfois du bon. Ici, elle a surtout un prix.