Du gin sans alcool vendu plus cher que son équivalent avec alcool: comment est-ce possible? La question d’une lectrice de Bon à Savoir a titillé notre intérêt pour la tendance commerciale en plein essor de «l’alcool sans alcool». Dans les grandes surfaces, à côté de l’assortiment de bières désalcoolisées qui s’est largement étoffé, on trouve désormais du vin, du Martini et toutes sortes de spiritueux affichant un taux d’alcool nul ou presque. Comment sont-ils fabriqués et pourquoi sont-ils autant, voire plus, chers que leurs équivalents alcoolisés? On lève le voile sur les apéritifs alternatifs.
Cet été, Coop vendait la bouteille de gin de la marque Gordon’s à 14.45 fr., contre 16.95 fr. pour son avatar sans alcool, pourtant exempté de la taxe sur les spiritueux (environ 7.60 fr. dans ce cas). Sollicité par notre lectrice, le détaillant invoque une action limitée dans le temps. Désormais, le Gordon’s alcoolisé est remonté à 17.50 fr. Toutefois, la différence de prix reste mince. Toujours chez Coop, le Martini, blanc ou rouge, est d’ailleurs moins cher (9.50 fr./litre) que ses déclinaisons sans alcool (12.95 fr./75cl). L’enseigne invoque des alternatives sans alcool qui «ne sont pas toujours strictement comparables à leurs équivalents avec alcool».
Filtré ou évaporé
Alors, quelles sont les différences? Les processus de fabrication d’abord. La bière et le vin sont obtenus par «désalcoolisation». On ôte l’alcool après fermentation ou alors on empêche son apparition en interrompant la fermentation. Feldschlösschen extrait l’alcool de sa Blonde sans alcool à l’aide d’un processus de distillation sous vide: l’évaporation de l’alcool, qui a lieu normalement à 78,3°C, se produit à 45°C dans ces conditions particulières. Le retrait de l’alcool d’une bière peut aussi être réalisé par filtration, à l’aide d’une membrane qui ne laisse passer que l’alcool, nous explique-t-on chez Bière Valaisanne.
Le vin allemand Kolonne Null, en vente chez Migros a, lui aussi, subi une fermentation avant que l’alcool ne soit retiré par une distillation sous vide jusqu’à obtenir une teneur en alcool résiduelle de 0,3%. Une toute petite quantité d’alcool qui permet, selon le fabricant, de conserver «les caractéristiques typiques du cépage».
Faible teneur en alcool tolérée
Qu’une boisson sans alcool contienne un petit peu d’alcool est parfaitement autorisé. La loi suisse admet une teneur maximum de 0,5%. Cependant, de plus en plus d’apéritifs alternatifs n’en contiennent pas du tout. Dans les deux cas, le défi est d’obtenir un goût satisfaisant. Car faire l’impasse sur l’alcool revient à se priver d’un support d’arômes et de saveurs important. La marque de vin Kolonne Null reconnaît l’ajout d’un peu de sucres naturels pour compenser la perte de corps et de douceur.
Des piments pour créer l’illusion
Du côté des spiritueux, les fabricants font généralement l’impasse sur la fermentation, mais infusent plutôt des arômes issus d’extraits de plantes. A l’image de Rebel’s, une start-up zurichoise. Pour obtenir son gin 0.0%, elle recourt à une double distillation. «Nous utilisons les mêmes ingrédients que pour un gin normal, du genièvre, de la cardamome, etc., explique Janick Planzer, un des co-fondateurs. L’eau est chauffée et on récupère les arômes. La deuxième distillation se fait par vide d’air à haute température, elle permet d’extraire encore plus d’arômes à partir des ingrédients de base.». L’ajout d’extrait de piments doit ensuite servir à créer l’illusion de la brûlure de l’alcool en bouche.
Boissons Pour cocktails
Côté prix, ça pique aussi, avec un gin vendu près de 30 fr. la bouteille. Un tarif inférieur d’environ 20% à un équivalent premium avec alcool, selon Janick Planzer. Ses arguments: des ingrédients de qualité et un processus de fabrication similaires. «Nous ne sommes pas soumis à la taxe sur l’alcool, mais nos coûts de production ne sont sans doute pas moins élevés. La plupart des gens pensent que l’alcool est forcément cher, ce n’est pas le cas en soit. Je ne parle évidemment pas d’un whisky de 20 ans d’âge.»
Ces spiritueux alternatifs n’ont d’ailleurs pas vocation à être bus «nature». La plupart des fabricants précisent bien que leur produit doit être allongé, de tonic, de ginger beer ou de jus de citron pour créer un «mocktail», terme qui désigne désormais les cocktails sans alcool.
Geneviève Comby
Bonus web: quel goût ont-ils?
Moins d’alcool, c’est moins de calories
Avec l’alcool, comptez 7 calories pour un petit gramme d’éthanol. La sobriété a donc aussi un intérêt d’un point de vue diététique. Le gin sans alcool de la marque Gordon’s, par exemple, affiche 6 kcal pour 50 ml contre 104 kcal dans sa version avec alcool. Et zéro sucre. Sauf qu’un coup d’œil à la liste des ingrédients révèle la présence d’édulcorants artificiels (E955 ou sucralose et E950 ou acésulfame K). Des ersatz que l’on ne retrouve pas dans les avatars de spiritueux plus haut de gamme.
Du côté de la bière, les mousses sans alcool contiennent également moins de calories. Mais, pour certaines d’entre elles, plus de glucides. Autrement dit, de sucre. A l’instar de la bière Valaisanne, avec ses 7,9 g contre 2,5 g pour une lager de la même marque. «En raison des procédés spéciaux utilisés pour la production», rétorque la marque.