«Ma gynécologue a-t-elle besoin d’arrondir ses fins de mois?» Agacée, cette lectrice fribourgeoise n’y va pas par quatre chemins pour s’interroger sur la légitimité de l’addition reçue suite à sa consultation. En plus du contrôle habituel et du retrait d’un stérilet, la spécialiste lui a facturé 16.90 fr. pour «étude du dossier en l’absence du patient». «Je ne comprends pas à quelle prestation correspond ce montant», écrit la jeune femme.
A Ma Santé, de tels courriers sont légion. «Je me suis fait piquer par une tique lors d’un voyage en Afrique. Mon médecin généraliste s’est documenté pendant la consultation pour prescrire des analyses et établir l’ordonnance qu’il m’a tendue en prenant congé. Quand la caisse maladie m’a envoyé une facture de 224 fr. pour «traitement médical», j’ai demandé qu’on m’envoie le détail, comme j’en ai le droit (lire ci-après: «Illégal, le chèque en blanc»). J’ai été surpris de constater que mon médecin avait étudié mon dossier «en mon absence», alors que dans cette situation, ça n’avait pas de sens.»
Si ces montants restent généralement modestes (moins de 20 fr. par tranche de 5 minutes), ils intriguent pourtant plus d’un patient. «Cette prestation apparaît effectivement sur un nombre croissant de factures médicales», confirme Simon Zurich, vice-président de la Fédération suisse des patients.
Un travail indispensable
A quoi correspond donc ce travail «en l’absence du patient»? Aux yeux des médecins, la réponse est évidente: il est indispensable de prendre quelques minutes avant de recevoir un malade pour prendre connaissance de sa situation. «Nous voyons des dizaines de personnes chaque jour. Certaines sont âgées, avec un parcours compliqué et de nombreux résultats d’examens, sans parler des radiographies, IRM et autres scanners», explique Jean Gabriel Jeannot, médecin généraliste et collaborateur de Ma Santé. «Les patients devraient plutôt se poser des questions en l’absence de cette prestation!» ironise-t-il.
Brigitte Zirbs, vice-présidente de l’association Médecins de famille et de l’enfance Suisse (mfe) renchérit : «Pour le patient, ce n’est peut-être pas facile à comprendre au premier abord que je facture un travail effectif d’analyses de rapports, de résultats et de contacts avec les spécialistes, que j’effectue sans consultation directe avec lui, mais qui le concerne exclusivement. Mais je peux justifier chaque minute facturée.»
En clair, quand un malade appelle un généraliste pour demander une ordonnance, déterminer s’il est à risque face au Covid-19 ou prévoir un check-up, le praticien doit forcément se pencher sur ce cas précis. De même que quand il adresse un dossier à un collègue: les informations transmises doivent être utiles et pertinentes. «Sans ce travail d’analyse du dossier en amont, il existe un risque important de prescrire un médicament ou un dosage inadéquat, une prise de sang mal ciblée, voire inutile, ou d’envoyer des documents inappropriés», explique la généraliste.
Ce point de vue est également celui de Thomas Eggimann, secrétaire général de la société Gynécologie suisse SSGO. Pour lui, le décompte de sa consœur fribourgeoise est justifié: «Il est normal de consacrer jusqu’à cinq minutes à la préparation de la consultation. Il faut en revanche une bonne raison pour aller au-delà.»
Un malaise persistant
Ces explications ne dissipent pourtant pas un doute grandissant: le système Tarmed, introduit en 2004, est-il vraiment adapté à la réalité? Car bien que personne ne conteste la nécessité de se préparer, cette prestation ne peut pas être facturée en tant que telle. «D’après son interprétation médicale, la position tarifaire «Consultation de base» comprend également la lecture du dossier médical et les annotations par le médecin traitant immédiatement avant et après la consultation», rappelle Simon Zurich. Interpellée sur ce sujet, la FMH louvoie et le malaise est palpable. Seule affirmation claire: l’étude de résultats de laboratoire ou de clichés, ainsi que d’autres documents concernant le patient établis par des tiers, et non par le médecin de famille, peut être facturée en tant que telle.
Pour ne rien arranger, depuis le 1er janvier 2018, selon la nouvelle règle décidée par le Conseil fédéral, la consultation ne doit plus, en principe, dépasser 20 minutes. On comprend dès lors, entre les lignes, que le praticien exploite toutes les positions Tarmed à disposition.
«Les médecins facturent très souvent un supplément pour «prolongation de la consultation», affirme Simon Zurich. Cet ajout est parfois justifié mais peut traduire un autre phénomène: suite aux récentes modifications dans la tarification de plusieurs prestations, il est tentant, pour les spécialistes qui ont vu la rémunération de certaines positions baisser, de se rattraper ailleurs. Le mécanisme est évidemment difficile à démontrer, mais peu de professionnels nient qu’il existe.
Que dire alors de la légitimité de ces actes facturés sans que le patient ne puisse en vérifier l’existence? D’abord qu’il est urgent de remettre de l’ordre dans un système de facturation trop opaque pour être efficace. Et ensuite, que s’il appartient au médecin de décider des gestes à accomplir, c’est également à lui qu’incombe le devoir d’instaurer la confiance avec son patient.
Dans un contexte de hausse des coûts de la santé et d’explosion des primes d’assurance maladie, on ne peut plus se contenter d’explications qui ne satisfont ni les médecins, ni les patients.
Claire Houriet Rime
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Le stéthoscope et la calculette
En cas de doute sur une facture ou d’incompréhension, la première chose à faire est de contacter le cabinet médical. Les médecins ne réagissent toutefois pas toujours positivement et se font parfois prier pour envoyer une copie du décompte précis.
Pour éviter du papier et des frais de port inutiles, l’idéal serait d’avoir recours au mail, mais tous ne sont pas non plus prêts à franchir le pas. Seuls 7% des patients disposent de ce canal pour dialoguer avec leur médecin traitant. Ce chiffre pourrait toutefois évoluer: à cause du Covid-19, le recours aux courriels a augmenté en flèche.
Brigitte Zirbs est adepte d’une communication active et efficace par courrier électronique sécurisé (ordonnances, bons divers, consultations éclairs), facturé selon le temps consacré: «Il ne faut pas laisser flotter le doute ni faire preuve de susceptibilité exagérée. Dans la mesure du possible, je joins la facture en format électronique à la prescription de manière à assurer une totale transparence des prestations effectuées.»
Si c’est la caisse maladie qui règle la note, il est difficile de revenir en arrière: l’assureur renvoie les patients au cabinet. «Les caisses maladie passent en revue 100 millions de factures par an, dont 5% doivent être corrigées. Ces contrôles portent sur d’autres aspects: erreurs de codage Tarmed, dépassement des prestations autorisées par la LAMal ou facturation de soins non prises en charge», explique Christophe Kaempf, porte-parole de Santésuisse.
Le malaise est important. «Les demandes liées à des problèmes de facturation ont doublé en quatre ans», témoigne Simon Zurich. Notre travail est complémentaire à celui des assureurs.»
En cas de litige, il est aussi possible de s’adresser à la Société médicale de son canton qui endosse le rôle de médiation: dommage d’en arriver là, quand la plupart des acteurs sont de bonne foi.