Je n’avais rien senti et mon entourage n’avait rien remarqué. Ni ma copine, ni mes amis ne m’ont jamais dit que je grinçais des dents la nuit.» A 25 ans, Nicolas découvre qu’il a les dents inhabituellement usées. Lors d’un contrôle, il y a trois ans, son dentiste lui parle pour la première fois de bruxisme. Un phénomène étonnant et pourtant relativement courant, avec la tendance de contracter la mâchoire, la plupart du temps de manière inconsciente. Rabotées à force de frottement, les dents de Nicolas ont, depuis été réparées par son dentiste, qui lui a proposé une rééducation de la musculature faciale à l’aide d’exercices quotidiens de mastication, ainsi que le port d’une gouttière (lire bonus web).
L’anxiété aggrave le phénomène
Le bruxisme a pris de l’ampleur ces dernières années. Le professeur Jens Christoph Türp, du Centre universitaire de médecine dentaire de Bâle (UZB), confirme que le nombre de patients concernés a augmenté depuis la fin du confinement, au printemps 2020: «On peut supposer qu’il y a un lien avec le stress psychique provoqué par la pandémie de Covid-19.» Pour Markus Gubler, porte-parole de la Société suisse des médecins-dentistes, confinement et isolement ont entraîné une augmentation du stress, du sentiment d’insécurité, d’inquiétude et la peur du lendemain: «Ce stress émotionnel a accentué le bruxisme. Les observations faites à l’UZB sont d’ailleurs étayées par de récents rapports publiés dans la littérature spécialisée internationale.»
Les causes exactes du bruxisme sont difficiles à établir précisément, mais le stress et l’anxiété semblent faire partie des facteurs qui favorisent son apparition, au même titre que l’existence d’un problème anatomique au niveau de l’emboîtement des dents, confirme le neurologue et spécialiste du sommeil, José Haba Rubio. La composante héréditaire fait aussi partie des potentiels responsables du grincement des dents.
Usure et bruits nocturnes
Pas si facile à cerner, le bruxisme est loin d’être inhabituel. «On estime que 80 à 90% des gens peuvent faire un peu de bruxisme à un moment donné de leur vie», estime le Dr Haba Rubio. Le plus souvent, sans que cela ne pose problème: «Le bruxisme qui cause des perturbations, de la gêne ou engendre des dégâts dentaires concernerait entre 5 à 8% de la population adulte», précise-t-il. Markus Gubler cite, pour sa part, une étude menée aux Pays-Bas dans laquelle 16,5% des adultes ont affirmé souffrir de bruxisme – diurne ou nocturne. La difficulté d’établir des données fiables est liée, selon lui, au fait qu’un grand nombre de patients ne savent tout simplement pas qu’ils souffrent de bruxisme et ne suivent donc aucun traitement.
Le bruxisme se produit essentiellement de manière inconsciente. Dans environ 80% des cas, uniquement la nuit, durant le sommeil. «La plupart du temps, les gens découvrent qu’ils en souffrent parce que leur dentiste observe une usure des dents ou parce que leur partenaire signale des bruits nocturnes», rapporte José Haba Rubio. Le bruit des dents qui grincent, «c’est souvent ce qui impressionne le plus», selon lui.
Le temps fait son œuvre
Mais attention, certains «bruxeurs» sont tout à fait silencieux. Une différence de décibels liée aux mouvements de la mâchoire. Ceux-ci peuvent prendre la forme de contractions toniques, soit la mâchoire qui se serre, ou de mouvements latéraux qui s’apparentent à un frottement. Ce dernier cas produit un grincement ou claquement bruyant.
Plus fréquent chez les enfants, les adolescents, voire les jeunes adultes, le bruxisme n’évolue pas forcément de manière négative. Autrement dit, le mal n’empire pas d’office avec le temps. «Les études épidémiologiques montrent plutôt une tendance à diminuer avec l’âge, mais avec de possibles fluctuations au cours de la vie», précise José Haba Rubio.
Surveiller l’émail
La bonne nouvelle, c’est que le bruxisme peut disparaître, la mauvaise, c’est qu’il abîme souvent les dents et peut induire des maux en cascade, comme le souligne Markus Gubler: «A long terme, le bruxisme peut endommager l’émail et la dentine sous-jacente et provoquer des douleurs dans les muscles et les articulations de la mâchoire.»
José Haba Rubio conseille donc d’être attentifs aux signaux d’alerte: le bruit, la modification de l’apparence des dents, mais aussi certaines douleurs au réveil, telle qu’une tension dans la mâchoire ou des maux de tête. Sans oublier un sommeil peu réparateur qui peut, lui aussi, trouver son origine là où on ne s’y attend pas: au niveau des dents.
Bonus web: «Protéger ses dents et soulager les tensions»