Elisabeth M. s'inquiète pour sa santé: «J’ai des soucis de circulation dans mes jambes qui sont régulièrement enflées le soir». Il y a deux ans, cette femme de 88 ans a eu une crise cardiaque, récemment une thrombose et sa thyroïde ne fonctionne plus correctement depuis longtemps. Elle souffre également de douleurs abdominales à la suite de plusieurs interventions chirurgicales. Les médecins lui ont prescrit un total de 16 médicaments pour traiter l’ensemble de ses symptômes (voir l'ordonnance ci-contre). Elle s’interroge pourtant sur la pertinence d’un tel nombre: «Je me sens moins bien depuis que je prends autant de médicaments.»
La polymédication se définit comme la prise régulière d’au moins cinq médicaments enregistrés et hors du domaine des médecines alternatives ou complémentaires. Il est très courant que les patients âgés suivent plusieurs traitements en même temps, mais c'est risqué. «Les interactions possibles augmentent rapidement à partir de cinq médicaments» affirme Thomas Walser, médecin-conseil pour Ma Santé. Le Dr Sacha Beck, médecin-chef zurichois, le confirme: «20 à 30 pour cent des patients de plus de 80 ans reçoivent des médicaments qui ne sont pas vraiment appropriés, à trop forte dose ou qui ne sont plus nécessaires.»
En 2016, une étude autrichienne menée par l'hôpital universitaire de Salzbourg est arrivée à un constat encore plus alarmant. Les chercheurs ont analysé les prescriptions de 425 résidents de maisons de retraite autrichiennes. Plus de 70% de ces aînés prenaient des médicaments dont ils n'avaient pas besoin. Il s'agissait notamment de sédatifs, de psychotropes, de laxatifs et d'analgésiques.
Elisabeth M. prend du Dafalgan, du Tramadol et du Novalgin pour ses douleurs abdominales, ce qui surprend le Dr Beck: «Trois analgésiques différents, c'est trop dans la plupart des cas.» Il critique également la prescription de Tramadol: «Nous ne le prescrivons plus à partir d’un certain âge, car il peut être source de confusion et de nausées».
Mme M. prend aussi un complément de potassium car le Laxoberon (laxatif) et le Torasemide (diminution de la tension artérielle) peuvent entraîner une carence en potassium. Selon le Dr Beck, une petite dose de Torasemide suffirait. Il estime également que la prescription de Laxoberon est discutable. En cas de constipation, il suffit souvent de manger des figues, de boire beaucoup ou de manger beaucoup de fibres.
Notre patiente prend aussi régulièrement du Pantoprazole, un inhibiteur d'acide. Elle ne sait pas pourquoi. Le Dr Beck estime que du moment que la patiente n'a pas de maux d'estomac ou de maladies, ce médicament est généralement inutile. Les bloqueurs d'acide peuvent être même nocifs car ils diminuent la capacité de l'organisme à absorber d'autres médicaments. De plus, le risque de fractures osseuses augmente.
Le Calcimagon est, lui, censé renforcer les os. Pour le Dr Beck, si le patient mange de façon équilibrée et qu’il ne souffre pas d'ostéoporose, le prescrire n’apporte aucune valeur ajoutée. Pour son cœur, un médecin lui a prescrit du Corvaton et du Ranexa. «Ces deux médicaments améliorent le flux sanguin vers le cœur» nous dit le Dr Beck. Il conseille cependant de faire vérifier cette prescription par un cardiologue: «Normalement, on ne les donne pas de manière prolongée.» Ils peuvent entraîner des étourdissements et des chutes.
Les patients âgés atteints de plusieurs maladies ont souvent le même problème: ils se font prescrire leurs médicaments par des médecins différents - et souvent aucun d’entre eux n'a la vue d'ensemble sur toutes les pilules avalées, qui s'influencent pourtant mutuellement. Combiner aspirine et anticoagulants, par exemple, augmente le risque de saignement.
Doron Garfinkel, un médecin gériatre israélien, est parvenu à des conclusions étonnantes lors d’une étude publiée en 2007 dans la revue spécialisée Israel Medical Association Journal. Il est parti de l’hypothèse que la surconsommation de médicaments par les résidents des maisons de retraite fait souvent plus de mal que de bien. Il a donc retiré pour chacun des 120 patients de l’étude deux à trois médicaments qui à ses yeux étaient problématiques. Il a ensuite comparé l’état de santé de ces patients avec celui des autres résidents qui continuaient de prendre tous les médicaments. Le constat le plus marquant a été que, dans l’année qui a suivi, un taux de mortalité un quart plus faible a été observé dans le groupe prenant moins de médicaments.
Le Dr Beck conseille aux patients de plus de 80 ans de faire évaluer leurs traitements médicamenteux en cours par un médecin tous les six mois. «Parfois, les patients avalent des médicaments inutiles et en même temps, ils n'obtiennent pas les médicaments dont ils auraient besoin.» Chez les personnes âgées, il est crucial de donner les bons médicaments aux bonnes doses - et de clarifier les objectifs que les patients espèrent atteindre avec chaque thérapie.
Luzia Mattmann / chp