Les pneus contiennent de nombreux composés chimiques qui leur permettent de résister aux variations de températures ou à l’humidité. Problème: leur usure produit, chaque année, plus de 13 000 tonnes de résidus, selon un rapport du Conseil fédéral paru au mois d’août 2023. Ces particules se répandent dans les champs au gré du vent et de la pluie. En 2022, des études menées par l’Université de Vienne ont démontré que les plantes pouvaient absorber des produits chimiques issus des microplastiques via leur système racinaire (lire «Les plantes stockent les résidus de microplastiques»). Nos salades sont-elles contaminées? Pour le déterminer, Bon à Savoir a fait tester, en laboratoire, 15 produits achetés dans la grande distribution.
Résultat: 12 salades contenaient des résidus de poussière de caoutchouc. Les quantités les plus importantes ont été trouvées dans la laitue, la roquette et les épinards mini en provenance d’Italie. Les valeurs maximales mesurées se situaient entre 59 et 104 nanogrammes de résidus chimiques par gramme (ng/g) de salade. Neuf autres produits cultivés en Suisse, en Italie et en Espagne étaient aussi touchés. Les quantités étaient toutefois nettement plus faibles, oscillant entre 0,1 et 45 ng/g. Notons encore que trois salades ne contenaient strictement aucun résidu de produits chimiques.
Directeur de la plateforme Plastique dans l’environnement et société à l’Université de Vienne, en Autriche, Thilo Hofmann se dit surpris par les résultats. «Je ne me serais pas douté» de la présence de ces substances dans des salades de supermarchés, explique-t-il.
Impact inconnu sur la santé
Aucune étude n’a été menée sur les effets à long terme pour la santé de l’ingestion de telles substances. Presque tous les composés chimiques trouvés dans les salades sont toutefois considérés comme des polluants et des allergènes. Certains d’entre eux sont également soupçonnés d’augmenter le risque de cancer ou de nuire à la fertilité (lire «Les critères du test»).
La poussière de caoutchouc n’est pas un cas unique. D’autres microplastiques issus du polyéthylène, du PET et du polystyrène se retrouvent également en grande quantité dans les champs. L’an passé, Bon à Savoir avait prélevé dix échantillons de terre partout en Suisse. Tous étaient contaminés par des microplastiques. En Thurgovie, le laboratoire avait même trouvé plus de 100 000 particules de plastiques dans un seul kilo de terre (lire «Des microplastiques polluent les champs suisses»).
Les distributeurs se font discrets
Bon à Savoir a demandé aux grands distributeurs s’ils font attention à la localisation des champs – particulièrement à proximité des routes fréquentées – lorsqu’ils achètent des produits frais. Aldi répond se conformer aux dispositions légales pour l’approvisionnement en légumes. Lidl explique laconiquement que plusieurs critères sont pris en compte, tandis que Denner assure que la proximité des routes, des zones industrielles ou des zones résidentielles ne joue aucun rôle sur les légumes. Migros et Coop affirment, quant à eux, qu’il n’existe pas encore de valeurs limites légales pour les polluants mesurés par Bon à Savoir. L’emplacement des cultures de salades n’est pas contrôlé. Notons encore que le Conseil fédéral prend le sujet au sérieux. Dans son récent rapport, il a défini plusieurs champs d’action pour réduire les résidus d’abrasion des pneus et en favoriser le captage.
Andreas Schildknecht / kg
Les critères du test
Des chercheurs spécialisés de l’Université de Vienne ont analysé, pour Bon à Savoir, 15 salades vendues en grands magasins. Le but: rechercher la présence de 17 produits chimiques généralement issus de l’abrasion des pneus. Chaque salade a été testée plusieurs fois. Le laboratoire a trouvé des résidus des neuf substances suivantes:
DPG (1,3-Diphénylguanidine)
Elle est utilisée dans la fabrication des pneus comme accélérateur de la vulcanisation. Cette opération consiste à traiter le caoutchouc naturel afin d’en améliorer ses propriétés mécaniques et de le rendre résistant aux variations de température. Selon l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA), cette matière est soupçonnée de nuire à la fertilité humaine. La base de données Rigoletto de l’Office fédéral allemand de l’environnement la classe en outre comme fortement polluante pour l’eau.
IPPD (N-isopropyl-N-phénylènediamine)
Ce composé protège le caoutchouc noir contre le vieillissement. Classé très toxique pour la vie aquatique par l’ECHA, il peut provoquer des allergies chez l’être humain.
Benzothiazole
Selon l’ECHA, ce produit chimique toxique, utilisé dans l’industrie du caoutchouc, peut entraîner des lésions dans des organes, tels que le foie, en cas d’exposition prolongée.
2-MBT (2-Mercaptobenzothiazole)
Servant également d’accélérateur de vulcanisation lors de la fabrication des pneus, ce produit est classé comme «probablement cancérigène» par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC). D’après l’ECHA, il est toxique pour les organismes aquatiques et peut également provoquer des allergies cutanées.
HMMM (hexaméthoxyméthylmélamine)
Utilisé pour renforcer les pneus, ce composé est soupçonné de nuire aux poissons, selon Cassandra Johannessen, chercheuse à l’Université Concordia de Montréal, au Canada.
CPPD (N-phényl-N-cyclohexyl-p-phénylènediamine)
Cette substance chimique ralentit le vieillissement du caoutchouc. Toxique pour les organismes aquatiques avec des effets persistants selon l’ECHA, elle peut, en outre, provoquer des allergies cutanées.
NCBA (N-cyclohexyl-2-benzothiazolamine)
Ce composé se trouve presque exclusivement dans le caoutchouc vulcanisé. Selon la base de données Pubchem des Instituts américains de la santé, il peut entraîner une irritation des voies respiratoires et de la peau.
2-hydroxybenzothiazole
Cette substance est nocive en cas de contact avec la peau ou d’ingestion, d’après l’ECHA.
5-méthyl-1H-benzotriazole
Utilisé dans la production du caoutchouc, il s’agit d’un polluant aquatique, selon la base de données Rigoletto de l’Office fédéral allemand de l’environnement.
Les plantes stockent les résidus de microplastiques
L’an passé, une étude de l’Université de Vienne a montré comment les produits chimiques issus de l’usure des pneus pouvaient se retrouver dans les parties comestibles des plantes. Les scientifiques ont acheté des boutures de salades dans une jardinerie. La terre a été totalement enlevée et les jeunes pousses ont été cultivées dans des bocaux contenant une solution nutritive. Les chercheurs ont nourri une partie des salades avec cinq composés typiques issus de l’abrasion du caoutchouc. Résultat après 14 jours: ces salades avaient absorbé les produits chimiques par la racine. Elles les avaient ensuite transportés et stockés dans les feuilles comestibles.
La recherche a en outre révélé que de nouvelles substances, potentiellement toxiques pour les poissons, se formaient dans les feuilles lorsque, au moins, cinq produits chimiques se rencontraient. L’impact de ces nouvelles substances sur la santé des êtres humains n’a pas encore été évalué. Selon les spécialistes, il existe un risque que les valeurs limites légales soient trop basses, les autorités se basant uniquement sur la quantité des substances de base.