En Suisse, plus de 40% de la population adulte et près de 20% des enfants sont en surcharge pondérale. Le fait que chaque habitant consomme, en moyenne,
38 kg de sucre par an n’est pas étranger à cette situation alarmante. Ce chiffre représente plus du double de la quantité maximale recommandée par l’OMS.
Les sodas, energy drinks et consorts sont en partie responsables de cette dérive sanitaire. Chaque Helvète en a bu, en moyenne, 81,7 l en 2015, soit l’une des plus fortes consommations en Europe, loin devant la France (50,9 l), l’Italie (53,6 l) ou la Suède (53,9 l). Or, un seul litre de Fanta Lemon contient, par exemple, la bagatelle de 114 grammes de sucres, soit 28,5 carrés! Le Rivella rouge en renferme 90 g et l’Orangina 89 g.
Les Anglais moins doux
Ces quantités peuvent toutefois varier d’un pays à l’autre. Notre comparatif montre effectivement que les versions suisses de plusieurs sodas contiennent des taux de sucres plus de deux fois supérieurs à ceux qu’on trouve au Royaume-Uni et en Irlande. Et ils sont parfois – mais pas toujours – plus doux aussi que chez nos voisins français, allemands et autrichiens, même si les écarts sont moins marqués (voir tableau).
La raison? Une trentaine de nations, dont le Royaume-Uni et l’Irlande, ont choisi de taxer les rafraîchissements contenant du sucre ajouté. Ainsi, au berceau de Shakespeare, les fabricants doivent s’acquitter, depuis le 6 avril, d’un montant de 25 ct. par litre pour toute boisson contenant plus de 50 g de sucres et de 33 ct. lorsque cette présence dépasse 80 g. Cette décision étatique n’est pas restée sans effet, puisque les grandes multinationales comme Coca-Cola, Nestlé et Schweppes ont modifié la composition de différents sodas en descendant un peu en dessous de 50 g par litre.
Baisse de la consommation
En France, une taxe de même genre existe depuis 2012. En Belgique, elle a été instaurée en 2016 et a été augmentée en 2018 pour s’élever à quelque 15 ct. par litre. Les premières études françaises montrent que la consommation de sodas a diminué dès la première année d’application d’environ 4%. Il en est de même au Mexique, où l’imposition introduite il y a quatre ans a fait monter les prix de près de 13%, entraînant une baisse de la consommation de 4%. Précurseur dans le domaine, la Finlande a, quant à elle, adopté une mesure similaire sur les boissons riches en sucre en 1940 déjà.
Pression des lobbys en Suisse
Chez nous, l’introduction d’une telle mesure paraît bien illusoire. Neuchâtel a récemment déposé une initiative cantonale à la Chancellerie fédérale qui va dans ce sens. Les recettes générées devaient être affectées à la prévention du diabète et de l’obésité. Elle a été rejetée par le Conseil des Etats en mars par 24 voix contre 3 et 6 abstentions.
Ce vote n’est guère surprenant: le secteur du sucre compte de nombreux lobbyistes au Parlement. L’industrie du soda y est active, entre autres, par le biais du Groupe d’information Boissons rafraîchissantes (GIBR) présidé par le conseiller national Lorenz Hess (PBD/BE). Cette structure compte dans ses rangs, selon le site lobbywatch.ch, douze autres parlementaires fédéraux: cinq UDC, quatre PDC, un PBD, et deux PLR dont la Vaudoise Isabelle Moret, seule Romande du groupe. Il accueille aussi des cadres de Coca-Cola Suisse, de Red Bull et de Rivella. A en croire le GIBR, «les taxes sur la consommation ne contribuent en rien au combat contre l’obésité».
L’OMS favorable à une taxe
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) n’est de loin pas de cet avis. Dans un rapport publié en 2016 à l’occasion de la Journée mondiale de l’obésité, l’OMS note que les boissons sucrées constituent l’un des facteurs qui contribuent à l'obésité et au diabète. Elle estime qu’un renchérissement de leur prix de 20% pourrait réduire d’autant leur consommation. Une position partagée par… l’Institut de recherche de Credit Suisse dans une étude! La majorité des 152 médecins européens, asiatiques et américains qui ont été consultés sont également d’avis que le sucre crée une dépendance et est responsable du diabète de type 2. Et le document conclut, lui aussi, qu’une imposition constitue le meilleur moyen de lutte contre la consommation excessive de sucre.
Darko Cetojevic / Sébastien Sautebin