Plus de 1500 lecteurs de Bon à Savoir et de nos confrères alémaniques de K-Tipp ont fait analyser l’eau de leur robinet. L’opération visait à détecter la présence de PFAS, des substances chimiques nocives. Après une première photographie de la situation (lire «Polluants dans l’eau du robinet: un foyer sur deux concerné en Suisse»), nos résultats définitifs montrent que, sur 1547 échantillons provenant des tous les cantons suisses, 774 étaient contaminés. L’eau potable d’un foyer sur deux contient ce type de polluants.
Rappelons que les PFAS ou alkyles perfluorées et polyfluorées, sont utilisées dans l’industrie, notamment pour la production de poêles en téflon, de textiles et de cosmétiques. Souvent toxiques, ils ne se dégradent guère dans l’environnement et se retrouvent disséminés un peu partout.
Le laboratoire que nous avons mandaté a détecté de l’acide perfluorooctanoïque (PFOA) dans environ 400 échantillons d’eau et de l’acide perfluorooctanosulfonique (PFOS) dans 470 échantillons. Certains étaient contaminés par ces deux substances qui sont suspectées de provoquer le cancer et de nuire au fœtus, selon l’Institut allemand d’évaluation des risques.
Dans 36 échantillons d’eau potable, la valeur-limite de 4 nanogrammes par litre d’eau était dépassée pour les PFOA. C’est le seuil maximal fixé par l’Agence de protection de l’environnement des Etats-Unis. Pour les PFOS, cette valeur-limite a été dépassée dans 109 cas.
Selon nos analyses, les résultats s’avèrent moins bons en Suisse alémanique. Parmi les échantillons romands, un sortait du lot avec des valeurs problématiques, à Payerne. Mais la présence de PFAS a été décelée dans de nombreuses localités.
«Peu de possibilités d’action»
Les communes concernées ou leurs fournisseurs d’eau se disent souvent impuissants. Le Service des eaux de Bülach (ZH), par exemple, affirme qu’il n’a «guère de possibilités d’action». Beat Gomes, conseiller municipal de Mellingen (AG) s’est dit «impuissant, car sur cette question, les communes dépendent du soutien du canton et de la Confédération». D’autres communes, comme Payerne, indiquent que les valeurs-limites suisses sont respectées.
Seulement voilà: selon la loi suisse, un litre d’eau peut contenir 300 nanogrammes de PFOS. C’est 75 fois plus que la valeur recommandée par l’Agence américaine de protection de l’environnement. Pour le PFOA, la valeur maximale suisse (500 nanogrammes) est même 125 fois plus élevée.
Vers une interdiction des PFAS?
Ces valeurs-limites pour l’eau potable sont en cours de révision, selon l’Office fédéral de la sécurité alimentaire. L’Office promet d’examiner aussi les valeurs maximales pour les denrées alimentaires. Il peut toutefois s’écouler de nombreuses années encore, avant que d’éventuelles nouvelles lois entrent en vigueur.
De son côté, l’Agence européenne des produits chimiques ECHA est en train d’examiner, à la demande de plusieurs pays de l’UE, une interdiction étendue de tous les PFAS. Ces substances ne pourraient plus être utilisées, excepté dans le cas où elles seraient «indispensables» pour l’industrie.
Aux Etats-Unis, de nombreux citoyens sont mieux protégés qu’ en Europe: plusieurs Etats ont décidé de réglementer strictement les PFAS. Le Minnesota est celui qui va le plus loin. Les premières interdictions devraient tomber dès 2025. A partir de 2032, les PFAS ne pourront plus être utilisés qu’à titre exceptionnel, par exemple pour la fabrication de vêtements de travail résistants, utilisés par les pompiers ou les techniciens de laboratoire.
«Des lois plus strictes sont nécessaires pour empêcher une nouvelle propagation des PFAS», estime l’Association suisse pour l’eau, le gaz et la chaleur, qui regroupe notamment les acteurs des réseaux d’eau potable. Elle considère également que ces substances devraient «éliminées le plus rapidement possible des circuits économiques».
Lukas Bertschi / gc