Des fonds avec un «meilleur profil de durabilité»: telle était la garantie donnée par UBS, en septembre dernier, à notre lecteur meyrinois (GE), Helmut Schönbacher. Ce courrier affirmait que tous les fonds de la gamme Vitainvest étaient concernés, dont le Vitainvest Swiss 25 Sustainable Fund dans lequel M. Schönbacher détient des actions d’une valeur d’environ 36 000 francs.
Notre lecteur a donc comparé la fiche d’information actuelle avec celle datant de 2018 et constaté que le fonds détient... exactement les mêmes titres qu’à l’époque! Des actions Nestlé, Novartis, Roche et UBS, des obligations de la Confédération suisse, des Etats-Unis, de la Banque des lettres de gage et de la Centrale suisse de lettres de gage.
En pleine expansion
Il ne s’agit pas d’un cas isolé, mais bien d’une tendance qui s’accélère. Des fonds conventionnels se trouvent soudain estampillés «ESG» pour «environnement, social et gouvernance». Manfred Stüttgen, expert financier de la Haute Ecole de gestion de Lucerne, a dénombré 27 fonds conventionnels convertis en fonds durables entre 2018 et 2019. Leur valeur totale, relativement modeste jusqu’en 2019, se montait à 6 milliards de francs. Entre la mi-2019 et la mi-2020, ce montant est passé à 28 milliards de francs pour 73 fonds présumés verts.
Les trois plus importants d’entre eux sont DWS, Robeco ainsi qu’un fonds avec des placements d’intérêts auprès de BlackRock. Le fonds Robeco n’a pas de quoi rassurer sur sa durabilité: M. Stüttgen explique qu’«aucune mise à jour ou changement significatif en ce qui concerne la stratégie de développement durable» n’a été signalé.
Même contenu – nouvelle dénomination
C’est ce qui s’est passé pour notre lecteur. Le fonds en question s’appelait auparavant UBS Vitainvest 25 Swiss – la mention «sustainable» (durable) en moins. Même contenu – nouvelle dénomination: M. Schönbacher s’est senti mené en bateau par UBS.
Est-il bien éthique pour ce fonds de détenir des actions dans des sociétés d’armement? Karsten Güttler, expert en placements auprès de la banque, justifie ainsi la dénomination «durable» auprès de Bon à Savoir: «Les actions controversées, qui représentaient déjà moins de 1% des actifs, ont été encore réduites à o,3% du fonds de Vitainvest (1,8% dans l'indice de référence). Il s’agit donc bien à présent d’un fonds durable. En outre, le fonds contenait déjà à l’époque très peu d’actions controversées, ce qui était déjà très positif.»
A noter que l’énergie nucléaire ne représente pas un critère d’exclusion pour UBS; toutefois, si un fournisseur d’énergie réalise plus de 30% de ses ventes avec de l’électricité au charbon, la banque renonce à ces actions. Un seuil également appliqué aux sociétés minières produisant du charbon.
Une question de rentabilité
Quant à comprendre pourquoi un fonds estampillé «suisse» englobe des obligations auprès des Etats-Unis, Karsten Güttler explique que les obligations suisses ne rapporteraient pratiquement aucun intérêt. Et justifie le mélange avec des titres américains par le besoin de rentabilité. Au sujet de la durabilité de ces obligations, M. Güttler souligne qu’elles ont justement été "choisies avec soin en fonction de leur durabilité".
Dans d’autres établissements, un fonds durable n’empêchera pas d’acheter des actions dans l’industrie automobile. Tel est le cas pour la Banque Cantonale des Grisons. Florian Tromm, son responsable des investissements durables, explique que le but n’est pas d’exclure des secteurs entiers, mais, plutôt, d’encourager les achats auprès d’entreprises exemplaires.
Normes difficiles à vérifier
«Le terme «durabilité» est utilisé de manière inflationniste», regrette Peter Frech, gestionnaire de fonds à Quantex SA, à Zurich. Il critique également le label «ESG», qu’il qualifie de simple «vitrine» et qui ne comporte aucune définition claire. Chaque fonds peut établir sa propre norme de durabilité et il est presque impossible d’en vérifier la conformité. «Bientôt, 99% des fonds seront ‘durables’», ironise Peter Frech.
Cette évolution rend de plus en plus difficile, pour les investisseurs, l’identification des fonds qui s’efforcent réellement de respecter des normes strictes.
En conclusion, il vaut mieux ne pas se fier à des noms qui sonnent bien. Et consulter la fiche d’information ou le rapport annuel pour connaître les actions détenues par un fonds, seule manière de juger s’il promeut réellement un monde plus durable.
Pascal Roth / Laura Drompt
[Cet article a été modifié le 10 juin 2021 à la demande de UBS.]
Le meilleur réflexe: se documenter sur ses actions
Le risque de greenwashing (écoblanchiment) ne doit pas décourager les investisseurs en quête de durabilité, selon Shema Mitali, chercheur auprès du Geneva finance research institute (GFRI) de l’Université de Genève. Son premier conseil est de consulter les fiches d’information sur ces fonds, à l’instar de ce que notre lecteur meyrinois a fait.
«Ces actions sont un produit comme un autre. Tout comme pour ses courses au quotidien, il est préférable se renseigner sur ce qu’on achète.» Aux banques, en parallèle, de s’adapter à la demande et de fournir des informations claires. Depuis 2009, les fonds d’investissement aux Etats-Unis sont par exemple tenus de communiquer des résumés dans un langage simplifié.
Le spécialiste en finance durable note un intérêt accru pour les fonds estampillés «ESG»: «Les jeunes générations veulent investir plus proprement.» Un bond des placements ne laisse-t-il pas craindre une bulle spéculative? L’important est que ces fonds gardent une connexion avec l’économie réelle et les entreprises plus durables répondent à un besoin tangible, explique Shema Mitali. Autre bonne nouvelle: la Commission européenne travaille à des écolabels répondant à des standards clairs. La Confédération pourrait s’en inspirer ensuite, ce qui faciliterait la tâche des épargnants suisses.