Habitante du Chablais, notre lectrice Laetitia* a déchanté au moment de contracter un abonnement Mobilis «toutes zones» pour penduler entre St-Maurice (VS) et Lausanne. Différence de prix entre le forfait annuel et un paiement mensuel sur une année: 825 fr. Pour la même durée de validité et le même réseau. Malheureusement, impossible pour elle de débourser en une fois les 2475 fr. nécessaires, faute d’économies disponibles. La Vaudoise a dû se résoudre à un paiement mensuel de 275 fr., soit 3300 fr. sur un an.
L’écart se creuse
Dans le secteur des transports publics, le grand écart des prix entre un abonnement annuel et 12 forfaits mensuels mis bout à bout ne date pas d’hier. Mais il s’est encore creusé ces derniers mois. Jusqu’en 2024, les usagers avec une carte mensuelle Mobilis payaient, sur une année, 20% plus cher que les personnes ayant contracté l’abonnement annuel. Le surcoût est désormais de 33,3%. Autrement dit, les personnes qui peuvent se permettre d’opter pour l’abonnement annuel et s’en acquitter en une fois profitent de rabais de plus en plus importants, alors que les prix ne bougent pas pour les autres.
Résultat: un système à deux vitesses. Notre comparatif (voir tableau) montre que, selon les communautés tarifaires de Suisse romande, la différence peut atteindre quasiment 1000 fr. C’est aussi le cas pour un abonnement de parcours qui traverse deux ou plusieurs communautés tarifaires – au sein du Service direct national de l’Alliance Swisspass –, comme dans notre exemple entre Lausanne et Fribourg. Etant donné que les prix des transports publics ont tendance à augmenter au fil du renchérissement de la vie, les différences entre ces montants promettent de croître proportionnellement.
«Inégalité de traitement»
Nombre de pendulaires qui doivent se déplacer toute l’année n’ont pas les économies nécessaires pour sortir 2000 fr. à 3000 fr. d’un seul coup. Pour les Verts Suisse, ardents défenseurs des transports publics, il y a une «inégalité de traitement» entre les usagers qui ont les moyens de payer en une seule fois, et les autres. «Cette politique tarifaire défavorise les personnes les moins fortunées et ne les encourage pas à utiliser les transports publics», regrette le parti écologique. Une telle tarification limite ainsi leur accès à la mobilité, allant parfois jusqu’à entraver leurs contacts sociaux.
Le Surveillant des Prix et l’Office fédéral des transports, quant à eux, demandent depuis longtemps aux communautés tarifaires d’adapter leur pratique. En vain. Monsieur Prix saluerait par exemple le fait d’offrir la possibilité de payer un abonnement annuel en plusieurs fois, comme pour l’Abonnement général (AG), sous forme de mensualités. Grâce aux progrès de la numérisation, un tel paiement échelonné ne devrait pas poser de difficultés, ni occasionner d’importants frais supplémentaires. Pourtant, les communautés tarifaires ne sont pas prêtes à proposer cette solution (lire notre Zoom).
Nivellement par le haut
Il n’y a pas que Mobilis qui ait, en 2024, creusé l’écart entre tarifs de l’abonnement annuel et des forfaits mensuels sur un an. La communauté bernoise Libero l’a fait passer, de 26% (ou 20% dans certains cas) à un 33,3% systématique.
Aujourd’hui, ce taux d’évolution, qui correspond à trois mois «offerts» pour les personnes payant une année d’un coup, est le même presque partout en Suisse romande. L’abonnement de parcours sur plusieurs communautés tarifaires applique un écart de 33,3% depuis 2003, Frimobil depuis 2006. Les autres acteurs du secteur se sont peu à peu alignés vers le haut.
Les communautés tarifaires assument leur politique de prix. Libero voulait «augmenter encore l’attractivité de l’abonnement annuel et fidéliser davantage la clientèle». Mobilis préférait proposer un meilleur prix à une part non négligeable des clients, plutôt qu’aucun rabais à personne sous prétexte d’un déséquilibre. Mobilis et Frimobil soutiennent que les clients achetant 12 abonnements mensuels d’affilée sont rares: les usagers préféreraient optimiser leurs coûts en associant des forfaits mensuels et quelques-uns hebdomadaires pendant les mois avec des vacances. Et, selon l’Alliance Swisspass, les personnes qui choisissent un abonnement de parcours mensuel le font en général parce qu’elles n’en ont besoin que pour une durée limitée...
Réformes dans le viseur
Quand il s’employait à faire réduire le prix de l’Abonnement général par mensualités, en 2018, Monsieur Prix écrivait déjà: «Plus de la moitié des titulaires de l’AG paient leur abonnement sur facture mensuelle pendant plus de 12 mois sans interruption.»
Le Surveillant des Prix continuera son appel du pied auprès des communautés tarifaires et suivra de près le projet MyRide, qui vise à une tarification plus juste et plus transparente. Il s’agit d’un nouveau système avec, comme base de calcul, non plus des zones et des tarifs prédéfinis, mais les distances effectivement parcourues. Même s’il est mis en œuvre à moyen terme, ce système cohabiterait de toute façon pendant plusieurs années avec les abonnements existants.
D’où l’intérêt de reprendre le dialogue autour des possibilités de paiement échelonné.
*Nom connu de la rédaction
Un paiement échelonné très chèrement payé
Payer en plusieurs tranches un abonnement annuel, pour éviter un forfait au mois plus onéreux? L’idée ne plaît pas à la majorité des décideurs de la branche des transports publics.
L’organe compétent a examiné cette possibilité, assure l’Alliance Swisspass. Pour les offres meilleur marché que l’Abonnement général, comme les abonnements de parcours, cette option ne serait pas rentable, car elle engendrerait des coûts supplémentaires trop élevés, notamment pour la communication mensuelle à la clientèle, la facturation, ou encore la comptabilité.
Les communautés tarifaires ont aussi planché sur la question. Mobilis et Frimobil disent ne pas vouloir imposer le renouvellement automatique, notamment pour permettre davantage de flexibilité dans le cumul de forfaits divers. Chez Libero, on reconnaît le problème de financement pour une partie des usagers: des solutions sont en cours d’examen. Onde verte et Frimobil signalent qu’une possibilité de payer l’abonnement annuel de façon échelonnée, qui fonctionne un peu à la manière d’une carte de crédit, existe directement auprès de certaines entreprises de transport, dont TransN pour le canton de Neuchâtel, le BLS et les CFF: le client peut régler un montant minimum avant de recevoir des factures mensuelles. Toutefois, les intérêts annuels atteignent entre 13% et 15%! Alors que le taux d’interêt pour les paiements partiels des crédits à la consommation ne peut excéder 14%.
Il n’y a guère qu’Unireso qui offre en Suisse romande une solution sans surcoût important: l’abonnement annuel de 500 fr. peut être payé en quatre tranches, avec un intérêt de 10 fr. au total.