Une bouteille de Valser ou de Volvic, une crème ou un déodorant Lavera, des chocolats, un paquet de biscuits, un détergent, presque n’importe quel produit en rayons peut être estampillé «neutre en CO2», «carbone zéro» ou «climatiquement neutre». Les marques investissent dans des projets de protection du climat censés compenser leurs émissions de gaz à effet de serre. En retour, elles obtiennent un label de l’une ou l’autre organisation climatique de certification. Celles-ci ont le vent en poupe: Myclimate, par exemple, qui a vu affluer presque deux fois plus d’argent que l’année précédente, dans son dernier bilan.
Mais attention. Neutralité carbone rime avec promesses intenables. Ce concept fait l’objet de vives critiques, car il laisse entendre qu’on peut polluer et, en payant, effacer totalement son impact. Exemple classique: une société qui commercialise un produit «neutre en CO2» dont elle a compensé les émissions carbone en achetant une quantité correspondante de certificats CO2 bon marché dans le cadre d’un projet de lutte contre la déforestation dans un pays en voie de développement. Des actions dont l’efficacité est remise en question.
Face aux accusations de greenwashing (blanchiment d’image environnementale), les sociétés qui décernent ces labels modifient leurs allégations. Myclimate a remplacé son «climatiquement neutre» par «Mon impact. Durable». Climate Partners supprime son label du même nom. Et Swiss Climate dit mener depuis des mois un processus de révision global, incluant son «CO2 Neutral». Le zéro carbone est de moins en moins associé à l’image de produits commerciaux, même si certains articles estampillés «neutres en CO2» resteront encore dans les rayons.
Le concept même de «compensation» est critiqué. Si Myclimate et la compagnie aérienne Swiss ont banni ce terme de leur vocabulaire, EasyJet a annoncé la fin de son programme de compensation, pour miser sur ses propres réductions de CO2.
Cocher une simple case sur Internet
Pour autant, certaines entreprises continuent de promettre à leurs clients qu’ils compensent «intégralement» les émissions de leurs produits. Exemple de taille avec Galaxus, le leader suisse de la vente en ligne.
Selon la plateforme, un acheteur sur huit coche la fameuse case de compensation du CO2. Grâce à un savant calcul de l’organisation climatique partenaire South Pole, il verse par exemple 2.63 fr. pour compenser l’acquisition d’un smartphone ou 1.35 fr. pour une machine à café. Galaxus confirme que le calcul concerne l’ensemble des émissions du produit, de l’extraction des matières premières à la mise au rebut… Ces montants si bas s’expliquent par l’évaluation de la tonne de CO2 à seulement 22 fr. C’est peu: le prix des certificats CO2 étrangers oscille actuellement entre 18 et 70 fr. la tonne – les suisses valent entre 80 et 160 fr.
Dernièrement, des enquêtes internationales ont par ailleurs démontré que de nombreux projets contre le défrichage ou la déforestation, à l’autre bout du monde, n’ont pas l’efficacité escomptée. Une des initiatives de ce type, parmi les projets forestiers auxquels prend part Galaxus, a notamment été discréditée. De manière générale, on ne peut pas être vraiment sûr que le fait de préserver une zone du défrichage ne déplacera pas le problème ailleurs.
Le client convaincu d’acheter sans remords
Galaxus donne l’impression que le consommateur pourrait, en cochant une simple case, compenser les émissions de toute une industrie. Sur le site, toutefois, des posts récents mettent en cause les emballages ou rembourrages inutiles pour certains colis, voire la mauvaise classe énergétique d’appareils en vente. Galaxus dit s’atteler à améliorer la situation. Interrogée par Bon à Savoir, la plateforme refuse cependant d’endosser toute la responsabilité en matière climatique. «A-t-on toujours besoin du dernier modèle de smartphone?», interroge-t-elle, préférant pointer du doigt ses propres clients.
Gilles D’Andrès
Responsable au point de payer deux fois?
Les importateurs de carburants reportent leur obligation de compenser le CO2 de leurs émissions sur les automobilistes, à raison de quelques centimes par litre (lire ici). Bon à Savoir a examiné le site des membres de la faîtière Avenergy. Des sociétés comme Socar, Eni, Shell, Migrol et Coop Mineraloel proposent de payer une taxe volontaire en faisant le plein, souvent de 1 à 3 centimes par litre, pour compenser ses émissions via leurs programmes. Personne n’indique qu’une compensation de 4 centimes – voire plus – est déjà incluse dans le prix du carburant. Contacté, Shell a botté en touche. De son côté, Migrol va examiner la remarque selon laquelle les clients qui compensent volontairement paient plus que les émissions qu’ils génèrent.