Le retour des beaux jours, c’est aussi celui des pollens! Et donc du calvaire pour tous ceux qui souffrent de rhinite allergique saisonnière, le fameux rhume des foins. En Suisse on estime que 20% de la population est concernée. Quand l’atteinte est sévère et les médicaments inefficaces, l’allergologue peut proposer à certains patients une désensibilisation, également appelée immunothérapie allergénique (lire encadré). L’allergie étant une réaction excessive du système immunitaire à une substance normalement inoffensive, comme les pollens, l’objectif est de réduire en douceur la sensibilité de l’organisme en le soumettant à de très faibles doses de l’allergène, augmentées progressivement. L’administration s’effectue par injection sous-cutanée ou, dans certains cas, par prise de gouttes ou des comprimés sous la langue.
Une bonne solution? Pas pour la revue médicale indépendante française Prescrire! Dans un article remarqué et très critique paru l’été dernier, elle arrive à la conclusion radicale que la désensibilisation de la rhinite allergique saisonnière présente «trop de risques et trop peu d’efficacité».
Réactions graves parfois mortelles
Prescrire estime ainsi que, «selon des synthèses méthodiques d’essais randomisés», l’efficacité est démontrée, mais qu’elle demeure faible, «évitant probablement quelques jours de traitement symptomatique à chaque saison des pollens». Pas vraiment de quoi jeter sa provision de mouchoirs en papier à la poubelle!
Et surtout, l’article souligne que le traitement par voie sous-cutanée expose à des réactions d’hypersensibilité graves. Ces dernières auraient nécessité l’injection d’adrénaline chez plus de 1% des patients et conduit même à un décès pour 50 000 patients traités environ, selon des données françaises de pharmacovigilance. Et la revue d’en déduire que la balance bénéfices-risques est défavorable pour la voie sous-cutanée: «même si les réactions mortelles sont exceptionnelles, il n’est pas justifié de prendre de tels risques pour une affection gênante mais bénigne.» La balance de la voie sublinguale resterait quant à elle incertaine, car «elle expose aussi à des réactions graves, mais sans morts signalées jusqu’à présent».
Un shoot d’adrénaline et c’est réglé
Les conclusions de Prescrire font bondir François Spertini, médecin-chef du service d’immunologie et allergie du CHUV. «Un nombre considérable de traitements médicaux comportent des risques! Je suis au CHUV depuis 25 ans, et il n’y a jamais eu un seul décès suite à une désensibilisation aux pollens. Pour toute la Suisse, on en compte moins de cinq sur les cinquante dernières années. Ce sont des cas totalement exceptionnels.» Mais le nombre de réactions allergiques n’est-il pas problématique? «On peut faire une anaphylaxie dans un nombre incalculable de cas à l’hôpital», rétorque François Spertini. «Lorsque cela se produit, le geste à faire est d’injecter de l’adrénaline et il n’y a pas de conséquences négatives.» En prenant les précautions adéquates, le risque peut d’ailleurs être limité au strict minimum. «Toute situation de stress ou infectieuse implique un report de l’injection sous-cutanée. Nous savons aussi qu’un effort physique ou un début d’asthme sont des facteurs de risque», résume l’allergologue.
Amélioration de 50 à 70%
François Spertini conteste aussi fermement le manque de résultats: «c’est un traitement extrêmement efficace! La symptomatologie s’améliore d’environ 30 à 40% sur l’ensemble des patients traités selon les études. Dans la réalité, le chiffre est plutôt de l’ordre de 50 à 70%. Il faut bien être conscient que le but de la désensibilisation n’est pas de supprimer l’allergie, mais de la diminuer de manière marquée au moment des pics de pollens et de réduire le recours aux médicaments.» Le spécialiste rappelle que l’immunothérapie est le seul traitement capable d’agir sur les causes de l’allergie pollinique et d’en modifier le cours clinique alors que les médicaments actuels ne soulagent que les symptômes.
La désensibilisation n’est pas la première stratégie des allergologues. «Nous prescrivons d’abord systématiquement des médicaments», révèle François Spertini. Si ces derniers ne sont pas ou plus efficaces et que le patient revient après deux ou trois saisons en souffrant le martyre, une désensibilisation peut être envisagée. A la condition que le ou les allergènes responsables soient clairement identifiés et qu’ils ne soient pas trop nombreux. «En règle générale, on peut en traiter jusqu’à trois, ce qui nécessitera alors trois injections à chaque fois. Certains patients ont beaucoup d’allergies et on ne peut pas les désensibiliser», prévient le médecin-chef.
Dans tous les cas, si vos symptômes restent modérés, la désensibilisation n’est pas la solution à privilégier!
Sébastien Sautebin
Trois ans d’injections hebdomadaires puis mensuelles
Il existe un traitement rapide de six à huit injections présaisonnières, mais la procédure sous-cutanée classique dure trois ans. Elle débute par une première phase de trois mois avant la saison pollinique, par exemple en octobre, et se fait alors au rythme d’une injection hebdomadaire chez le spécialiste. Elle se poursuit avec une injection mensuelle qui peut être effectuée chez le généraliste. Après cette dernière, il faut attendre une demi-heure en salle d’attente, pour qu’une éventuelle réaction puisse être prise en charge immédiatement. La démarche est donc fastidieuse, mais pour François Spertini, elle permet un «suivi très précis du patient, assurant ainsi qu’il prend bien son traitement» alors que, par voie sublinguale, le médecin voit la personne tous les trois à six mois, puisque les prises peuvent se faire à domicile.
Selon notre expert, l’immunothérapie est efficace 5 à 10 ans. Ensuite, les symptômes peuvent revenir petit à petit, «surtout chez les gens qui ont été désensibilisés à l’adolescence». Pour les autres, ce retour est souvent modéré, voire inexistant, car la sensibilité aux allergènes diminue autour de la cinquantaine, et même avant. Pour les personnes qui ont des réactions croisées, c’est-à-dire une sensibilité à certains aliments, le plus souvent bénigne, que leur système immunitaire confond avec les pollens (par ex. bouleau et pommes), «il peut arriver que la désensibilisation permette d’apaiser en même temps l’allergie alimentaire», relève le Centre d’allergies suisse sur son site aha.ch. «C’est plutôt rare, remarque François Spertini, et personnellement, je ne garantis jamais cet effet.» Dans l’autre sens, l’immunothérapie ne fait pas naître d’allergies alimentaires.
Le traitement est totalement remboursé par l’assurance de base, déduction faite, le cas échéant, de la franchise et de la quote-part, et il revient à environ 6000 fr. sur trois ans.