Efficacité et empathie
Le Dr Jean Gabriel Jeannot développe depuis plusieurs années les soins à distance. Il raconte son expérience, les limites et les avantages de cette pratique.
1. La téléconsultation, c’est quoi exactement?
La téléconsultation est l’acte par lequel un professionnel de la santé soigne un patient à distance, quel que soit le moyen de communication utilisé. Cela peut être par téléphone, courriel ou vidéo. Lorsque l’on parle de téléconsultation, deux mondes distincts doivent être différenciés. Le premier est celui d’un échange entre deux acteurs qui se connaissent, par exemple entre un médecin et son patient. Le deuxième monde est celui d’un contact entre deux personnes qui ne se connaissent pas (lire: «Allô docteur, c’est grave»).
2. Se faire soigner à distance?
La plupart des patients répondront qu’ils ne sont pas intéressés, qu’ils souhaitent rencontrer physiquement le professionnel de la santé qui les soigne. Les raisons les plus fréquemment évoquées sont qu’une vraie consultation est une rencontre en face à face et que les soins à distance sont de moins bonne qualité. Même si rien ne remplacera jamais une rencontre physique entre deux personnes, je suis convaincu que la téléconsultation doit être développée, et ceci pour le bien des patients.
3. Des soins déshumanisés?
On reproche souvent à la télémédecine de déshumaniser les soins. Je pense que cette affirmation est fausse. Si l’on prend l’exemple du téléphone, lorsque vous parlez à un proche, vous ne vous excusez pas de le contacter par un moyen technologique, le plus important est le contenu de votre échange. Il en va de même pour la téléconsultation, l’aspect technologique doit être oublié pour ne laisser la place qu’à un échange entre un soignant et un soigné. Mon but n’est pas de dire qu’une consultation présentielle est identique à une consultation à distance, je veux juste dire qu’un médecin peut être peu humain dans son cabinet et très empathique lors d’une vidéoconsultation.
4. Mon expérience
Même si mes consultations les plus importantes ont toujours lieu dans mon cabinet, j’ai ces dernières années progressivement développé les soins à distance. D’abord le téléphone, par exemple pour répondre aux questions simples de mes patients afin d’éviter qu’ils ne doivent se déplacer au cabinet. J’utilise aussi souvent le courrier électronique, un bon complément à la consultation et au téléphone. Si l’échange par téléphone a l’avantage de permettre une interaction directe, le mail a celui de pouvoir être envoyé et lu à n’importe quel moment. J’ai le sentiment que cela permet à mes patients de me poser des questions pour lesquelles ils ne me dérangeraient pas par téléphone. Je suis aussi convaincu qu’un patient comprendra mieux les informations médicales que je lui envoie par mail s’il peut les lire et les relire plutôt que si je les lui transmets uniquement oralement par téléphone (analyses sanguines, rapport de radiographie, rapport de spécialiste, etc.).
Même si j’ai longtemps pensé que la vidéoconsultation n’était pas plus intéressante que le téléphone, la pandémie actuelle m’a fait changer d’avis. Les études sur la télémédecine montrent que ce qui manque le plus souvent lors d’une téléconsultation, ce n’est pas l’examen physique, c’est le langage corporel. Cela peut paraître paradoxal mais la vidéo apporte une «proximité» que je n’aurais pas soupçonnée.
5. Les limites
Il existe naturellement des situations où les soins à distance ne sont pas possibles, des situations plus ou moins fréquentes selon les spécialités médicales. Il existe en réalité trois critères qui rendent les soins à distance impossibles.
⇨ Le contact physique est nécessaire si le patient doit être examiné ou qu’un geste technique doit être effectué.
⇨ Il faut renoncer à la téléconsultation si le patient à des difficultés à communiquer, que ce soit en raison d’un problème de langue ou d’un problème médical.
⇨ La vidéoconsultation est irréalisable si la qualité de l’image ou du son sont insuffisantes.
Ces éléments montrent qu’il existe des limites mais qu’elles ne sont pas nombreuses, les soins à distance pourraient donc être proposés pour répondre à de nombreux problèmes médicaux.
6. Les avantages
Les avantages de la téléconsultation sont plus nombreux que ce que l’on pourrait imaginer:
⇨ L’accès aux soins pour des personnes isolées (habitat éloigné, vacances à l’étranger, prison, etc.) ou peu mobiles (handicapés, parent avec enfants, personnes âgées). Ce critère permet d’ailleurs de comprendre que l’opposition ne doit souvent pas être faite entre consultation en face à face et consultation à distance mais plutôt entre téléconsultation et… rien. Formulé autrement, dans certaines situations, ce sera soit des soins à distance, soit pas de soins du tout.
⇨ Le gain de temps, pour le patient et pour le professionnel de la santé.
➛Une plus grande disponibilité, la téléconsultation permet souvent l’accès au système de santé en dehors des heures d’ouverture des cabinets médicaux.
⇨ La téléconsultation peut aussi être utile pour le suivi des patients souffrant de maladies chroniques, en alternant les soins à distance avec des consultations présentielles permettant un rapprochement soigné – soignant.
⇨ L’impact écologique positif puisque la téléconsultation permet d’éviter des déplacements.
⇨ La fonction de triage: elle permet de définir qui peut être soigné à distance, qui doit consulter et avec quel degré d’urgence.
7. Encore trop discret
Même si le nombre de professionnels de la santé qui utilisent le téléphone et le courriel augmente, les soins à distance devraient être plus largement proposés à la population. Il existe cependant un certain nombre de freins qui limitent cette évolution. Le premier est celui du manque de formation, ceci aussi bien pour les patients que pour les soignants: les patients sont peu habitués à être traités à distance, les professionnels n’y sont pas formés. Le second obstacle est, pour les médecins, la difficulté d’intégrer les téléconsultations dans des journées déjà bien chargées. Le troisième frein est financier, le système de facturation Tarmed ne propose un remboursement que pour les consultations téléphoniques.
8. Pour ou contre?
L’idée n’est pas d’opposer la consultation au cabinet et les soins à distance mais de profiter de chacun de ces deux mondes. Même si rien ne remplacera jamais une rencontre physique entre un professionnel de la santé et son patient, la téléconsultation doit être développée pour améliorer l’efficience de notre système de santé et répondre aux besoins des patients.
Dr Jean Gabriel Jeannot, médecin, spécialiste en médecine interne
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Préserver la rencontre
Pour Brigitte Zirbs, médecin et vice-présidente de l’association Médecins de famille et de l’enfance Suisse (mfe) la vidéo ne permet pas une vraie relation avec le patient.
1. Mon expérience
Après six semaines de téléconsultations imposées par les mesures de prévention liées au Covid-19, la généraliste dresse un bilan sévère de son expérience.
«Je n’ai aucun problème à communiquer avec mes patients par courrier électronique, par exemple pour le renouvellement d’une ordonnance, ou à leur laisser mon numéro de téléphone en cas d’urgence. Je suis en revanche très sceptique en ce qui concerne les téléconsultations qui nous privent d’une certaine qualité de relation. Il est par exemple difficile de décoder l’état émotionnel de nos patients au moyen des images vidéo, bien souvent de qualité peu satisfaisante.
2. La richesse du toucher
Pendant l’examen clinique s’établit une relation de confiance et de proximité, on touche le patient, on perçoit sa réaction, sa douleur, ses émotions. Comment interpréter une photo de mauvaise qualité sur un écran? Et c’est sans parler des problèmes techniques qui rendent l’échange compliqué et stressant.
3. Décodage impossible
La téléconsultation ne remplace pas la richesse d’une rencontre entre deux personnes qui comporte aussi une part de magie et d’irrationnel. Derrière le symptôme se cache souvent une autre problématique, subtile, infra-verbale, qu’il faut prendre le temps de décoder! C’est une tâche impossible pour des logiciels de triage des centrales d’appel qui génèrent des batteries de questions. En limitant l’échange à des questions téléphoniques ou par écran interposé, on se prive d’une grande richesse mais aussi d’une réelle précision de diagnostic qui va impacter le traitement et la sécurité du patient.
4. Une personne, pas une rupture
Le généraliste ne doit pas devenir un distributeur de bons de délégation ou d’ordonnances. Sa tâche médicale ne peut se réduire à la gestion de documents, de symptômes ou d’une maladie. La complexité de la prise en charge globale du patient échappe totalement au médecin qui doit faire un diagnostic téléphonique au sujet d’un patient qu’il ne connaît pas. Mes patients ont la générosité de me faire confiance et de partager avec moi leur histoire de vie. La plus belle part de mon métier consiste à les accompagner au fil du temps: le médecin soigne une personne, et non pas une maladie.»
Brigitte Zirbs, vice-présidente de l’association Médecins de famille et de l’enfance Suisse (mfe)