Aurait-on cherché un stratagème pour mettre en évidence les failles du système que l’on aurait à peine pu trouver mieux. Malheureusement, cette fin était bien loin des intentions des acteurs de cette histoire.
Cette histoire, c’est celle de la vaisselle en bambou. Plus précisément, les bols, assiettes et autres tasses réutilisables, faits d’un mélange de fibres de bambou et de mélamine, une matière plastique. Vendue depuis des années en Suisse, elle était particulièrement prisée comme vaisselle pour les enfants, car légère et relativement solide. Sans oublier que ses attributs, souvent vendus comme «naturels», caressaient la conscience écologique des parents. C’est aussi cet aspect qui a propulsé le gobelet à café en bambou comme alternative au gobelet jetable.
C’était jusqu’à ce que différentes études montrent qu’une importante partie de la vaisselle vendue était de piètre qualité et que ses composants migraient dans la nourriture à des taux souvent supérieurs aux valeurs limites, surtout en contact avec des aliments chauds. Selon une analyse du chimiste cantonal genevois, de mars, près de 40% de la vaisselle en bambou mélaminée dépasse les valeurs limites de migration de formaldéhyde et de mélamine.
Les irrégularités s’accumulent
Les signalements d’irrégularités s’accumulant, le groupe d’experts de la Commission européenne sur les matériaux plastiques en contact avec les aliments, s’est saisi du dossier. Sa conclusion en juin 2020: la vaisselle composite avec bambou n’est pas conforme à la législation européenne – également appliquée en Suisse dans ce domaine. Surprise: cela n’est pas directement lié aux dépassements des valeurs limites de migration. En réalité, le bambou ne fait pas partie de la liste des additifs autorisés pour les matières plastiques en contact avec les denrées alimentaires (lire «Vaisselle interdite»). Pour l’y ajouter, une demande d’autorisation doit être déposée, ce qui requiert un dossier complexe.
Comment est-il possible d’avoir commercialisé pendant aussi longtemps des produits non conformes? La réponse se résume en deux mots: principe d’autocontrôle. Cela veut dire qu’il incombe aux fabricants, aux importateurs et aux distributeurs de s’assurer de la légalité de leurs produits.
Le bambou n’est pas du bois
Constatant que les articles avec bambou étaient souvent étiquetés comme naturels et écologiques, les experts de l’UE se sont demandé si les fabricants ou les importateurs n’avaient pas réalisé que ces produits étaient du plastique, «par erreur ou manque de connaissance de la législation applicable». Même les autorités semblent dans le flou. Le Conseil fédéral, par exemple, n’a pas fait mention d’une non-conformité à la liste des additifs après sêtre penché sur la question pour répondre à une interpellation de la conseillère nationale Sophie Michaud Gigon en mai 2020.
Une des marques concernées est la Française Ekobo, pionnière en matière de bambou mélaminé. Son propriétaire Bruno Louis, contacté par Bon à Savoir, considère le bambou comme une fibre de bois, un additif autorisé au plastique. Pendant près de dix ans, les autorités n’ont pas contesté que les produits de bambou faisaient partie de cette catégorie, dénonce-t-il. Pour lui, il ne fait aucun doute que des intérêts économiques ont joué dans ce revirement.
Les autorités se renvoient la balle
En Suisse, Ekobo est importée par l’entreprise de Thomas Merlo. Il nous explique que la marchandise était déclarée de façon transparente et n’a jamais eu de problème à la douane. A ses yeux, c’est la confirmation que la vaisselle de bambou était conforme.
Confrontées à cette remarque, les autorités se renvoient la balle. L’Administration fédérale des douanes (AFD) répond quen cas de doute, la douane contacte le laboratoire cantonal du domicile de l’importateur et que cela a été fait une fois en 2018. L’AFD souligne aussi que l’Office fédéral de la sécurité alimentaire (OSAV) n’avait pas émis d’interdiction d’importation. Ce dernier explique qu’une telle mesure aurait été disproportionnée.
Enfin, en bout de chaîne, il y a le revendeur. Dans le cas dEkobo, souvent des petites boutiques spécialisées qui n’ont pas les moyens de vérifier la légalité de leurs marchandises et font confiance à leurs fournisseurs. Migros et Coop, qui vendaient de la vaisselle en bambou d’autres provenances, ont retiré ces produits après une information de l’OSAV.
Malgré cet échec de l’autocontrôle, les autorités ne le remettent pas en cause. «L’autocontrôle est une pierre angulaire de la législation alimentaire dans son ensemble», souligne l’OSAV. La surveillance, qui incombe aux cantons, se fait selon les risques.
Sandra Porchet