Acheter du chocolat équitable ou durable est une démarche qui semble très facile. Les rayons des grands distributeurs regorgent de tablettes certifiées. Rien que chez Migros, tous les chocolats Frey sont au moins estampillés UZT. Ce label, comme celui de Rainforest Alliance, promet du cacao produit durablement. Le Faitrade Max Havelaar, lui, garantit des salaires équitables pour les cultivateurs et fixe un prix minium pour la matière première.
Certifié, mais moins cher…
Que le producteur soit mieux payé ne semble pourtant pas avoir une grande influence sur les prix affichés. Coop vend du chocolat au lait Fairtrade à partir de 50 ct. la plaque, alors que celle de Lindt – exempte de label – coûte 2.40 fr. Dans ce contexte, le consommateur peut-il vraiment être certain que le producteur de cacao certifié reçoit un meilleur salaire?
La Fondation Max Havelaar, responsable du label Fairtrade en Suisse, dit ne pas savoir combien gagnent les 200 000 cultivateurs de cacao certifiés répartis dans vingt-deux pays. Elle souligne, en revanche, avoir reversé 43 millions de dollars de primes aux organisations de producteurs de cacao Faitrade, en 2017. Les structures décident elles-mêmes de l’utilisation des primes. Les cultivateurs n’en ressentent que peu les effets, comme l’a montré un reportage de l’émission alémanique Kassensturz diffusé au mois de janvier 2019.
Eviter les intermédiaires
Le prix du marché du cacao se situe actuellement autour de 2.20 dollars le kilo. Il s’agit du prix sur le bateau, au moment de l’exportation. Les cultivateurs n’en reçoivent qu’une partie, qui peut grandement varier selon les pays et les coopératives. Il faut savoir que, actuellement, le cacao Fairtrade s’achète au prix du marché, car le prix minimal fixé par le label (2 dollars) est inférieur. Au prix d’achat s’ajoute une prime équitable de 20 ct./kg versée directement aux coopératives.
L’organisation Public Eye, qui se bat pour un revenu vital des cacaoculteurs, conseille, dans un fascicule d’information, de privilégier les fèves achetées directement au producteur. Cela permet d’éviter les marges qui profitent aux intermédiaires. De plus, des contrats à long terme apportent une stabilité des prix sur un marché très volatil.
Des factures à l’appui
En Suisse, divers fabricants de chocolat achètent les fèves directement auprès des cultivateurs. Parmi eux, des petits artisans chocolatiers paient jusqu’à cinq fois le prix du marché. Certains ont accepté de jouer la transparence en montrant leurs contrats et leurs factures à Bon à Savoir.
La marque bâloise Idilio
Origins paie aux producteurs vénézuéliens environ 6 fr./kg, selon la sorte de fèves. «Ce prix n’est pas une aumône, mais il est nécessaire pour produire un cacao de la qualité que nous attendons, explique le cofondateur Niklaus Blumer. Même avec cette rémunération, les cacaoculteurs ne deviennent pas riches. Mais ils peuvent au moins vivre décemment.» De leur côté, le chocolatier Sadé, à Veyrier (GE), et le zurichois
Taucherli, se fournissent auprès de la Hacienda Betulia en Colombie. Celle-ci vend son cacao environ cinq fois plus cher que le prix du marché, atteste son copropriétaire, Christian Vélez.
Des salaires qui restent modestes
D’autres chocolatiers achètent leurs fèves en Afrique. L’Espace Chocolat, qui a des boutiques à Lausanne et à Yverdon-les-Bains, se fournit auprès d’une plantation camerounaise pour un tarif de 7.50 fr./kilo qui englobe le transport. «C’est le prix qu’on m’a proposé, explique le propriétaire Christophe Moret. Quand on a un contact direct avec les producteurs, on est d’autant plus prêts à payer le prix juste pour un cacao de qualité.»
D’autres osent un modèle d’affaires particulier. Fondée en 2015, Choba Choba est détenue à hauteur de 22% par les producteurs de cacao péruviens qui lui livrent sa matière première. L’entreprise bernoise paie entre 3.75 fr. et 4.80 fr. le kilo de fèves à la sortie de la plantation. Les producteurs reçoivent, en outre, 5% du chiffre d’affaires annuel en espèces ou sous forme d’action ou de soutien à des projets. En 2018, cette participation a représenté un supplément de 2 fr. par kilo de fèves.
«Même si nos producteurs gagnent deux fois et demi plus que les autres cultivateurs de la région, ils n’ont pas encore tous un salaire couvrant l’ensemble de leurs besoins. Cela montre à quel point d’autres organisations prétendant à des salaires équitables sont loin du compte», dit Christoph Inauen, cofondateur de Choba Choba.
Des besoins vitaux à couvrir
Spécialiste des matières premières agricoles chez Public Eye, Silvie Lang va dans le même sens: «Les prix élevés que paient certains chocolatiers ne garantissent pas que les cultivateurs gagnent davantage, car les coûts de production du cacao de qualité sont élevés. L’idéal est de déterminer les besoins vitaux des cacaoculteurs et de fixer un prix qui permet de les couvrir.»
Sandra Porchet
Le prix du chocolat
Le cacao ne représente qu’une infime partie du prix d’une tablette de chocolat. Kay Keusen, propriétaire de la marque Taucherli, à Zurich, a décortiqué pour Bon à Savoir les coûts de sa tablette de Chocolat noir 77% de cacao colombien. Le prix de vente de 10.50 fr. ne découle pas du tarif plus élevé des fèves, mais de la production et des marges générées en Suisse.