Récemment, Alain Barbey annonçait vouloir donner à ses trains la précision d’un coucou helvétique. Le directeur des CFF pour la Suisse romande ambitionne d’atteindre un taux de ponctualité voyageurs de 89,9% cette année. Selon les normes du transporteur, cela signifie que près de neuf passagers sur dix doivent arriver à leur gare de destination avec un écart sur l’horaire prévu n’excédant pas trois minutes. Cette marge serait la plus sévère d’Europe. En Allemagne, par exemple, la barre est fixée à six minutes.
Avec son annonce, Alain Barbey marche sur des œufs. Elle arrive en effet en pleine polémique sur les statistiques des CFF. A l’origine de la controverse, le site alémanique pünktlichkeit.ch. Géré par un passionné, il informe de la ponctualité, non pas des voyageurs, mais des trains en se basant sur les données publiées par les CFF eux-mêmes (opentransportdata.swiss).
Or, le site n’épargne pas l’ex-régie fédérale. Alors que cette dernière semble se complaire dans l’autosatisfaction en communiquant un seul chiffre annuel de ponctualité pour la Suisse – au demeurant flatteur (89%) –, pünktlichkeit.ch propose une carte très détaillée du réseau. Et la réalité semble bien moins rose: beaucoup de trains sont en retard sur certaines lignes.
Cette dichotomie n’a pas échappé au directeur de l’Office fédéral des transports (OFT), Peter Füglistaler, qui a récemment mis le feu aux poudres sur les réseaux sociaux. Il invitait celles et ceux qui veulent se faire une idée de la ponctualité des transports publics à se rendre sur pünktlichkeit.ch «où ils trouveront des valeurs collectées statistiquement, qui ne sont pas enjolivées par des services de communication».
C’est le contrôleur qui compte
Face à la polémique, les CFF ont d’abord affirmé que «les conclusions du site ne sont pas significatives, car elles se basent sur des données brutes qui ne se prêtent pas à l’analyse sans affinage préalable». Puis, ils ont concédé du bout des lèvres que les deux méthodes sont valables, tout en avançant quelques arguments en leur faveur. «Nous avons choisi une méthode dans laquelle un train bondé entre deux grandes villes compte beaucoup plus qu’un autre qui circule avec trois passagers entre deux villages de campagne», résume Patrick Michaud, responsable planification-analyse pour la Suisse romande. Si l’argument se défend, il y a tout de même un gros hic.
Alors que pünktlichkeit.ch se base sur les relevés des bornes lorsque les trains entrent en gare, les CFF se fient… aux estimations des contrôleurs! Ces derniers évaluent le nombre total de passagers dans les voitures avant et après certaines gares, pour déterminer le nombre de personnes qui arrivent à l’heure ou en retard. Ce procédé étonnant apparaît très approximatif et son degré d’imprécision dépend étroitement de la minutie avec laquelle les contrôleurs s’acquittent de leur tâche! L’ex-régie fédérale rétorque que, avec un peu de pratique, ce comptage est rapide et efficace, mais admet une marge d’erreur importante d’environ 10%. Selon son porte-parole Jean-Philippe Schmidt, les résultats n’ont pas besoin d’être d’une exactitude absolue, car ils seraient destinés avant tout à un usage interne: «Nous ne sommes pas l’Office de la statistique, notre but est de transporter des personnes. Ces chiffres sont là pour aider nos analystes à chercher les anomalies et à améliorer la situation.» Avec les objectifs très ambitieux fixés pour 2019, ils ont du pain sur la planche! Sébastien Sautebin
Sur le terrain
Les douze travaux d’Hercule
Alain Barbey veut améliorer la ponctualité des trains romands, cette année. La tâche sera ardue: près de 200 chantiers sont programmés entre 2019 et 2021. Et il y a la ligne infernale Lausanne-Genève. Prospérité oblige, elle voit le passage quotidien de 670 trains (voyageurs et fret) transportant plus de 60 000 personnes. D’ici à 2030, les CFF prévoient une augmentation à 800 trains et 100 000 passagers. Une densité qui n’est déjà pas sans conséquences: «Nous avons mis autant de trains que possible, explique Jean-Philippe Schmidt, porte-parole. Mais, en conséquence, chaque petite perturbation a un effet de cascade.» Depuis 2017, les CFF travaillent assidûment sur les quatre causes principales de retard: les chantiers, les dérangements liés aux infrastructures et au matériel roulant (pannes, etc.) ainsi que les intrusions de tiers. Ainsi, la planification des chantiers a été optimisée, du personnel a été engagé pour l’entretien du matériel roulant, des barrières contre les intrusions seront posées dans certains lieux, etc. Les mois qui viennent révéleront l’efficacité de ces mesures