Le scandale de l’oxyde d’éthylène dans le sésame, les glaces et de nombreux autres produits l’a mis en évidence: les autorités suisses avancent sur la pointe des pieds lorsqu’il s’agit de mettre en garde la population contre des produits contaminés ou défectueux (lire «Des glaces contaminées à l’oxyde d’éthylène»).
La Confédération avait pourtant lancé, à la fin 2020, la plateforme Recallswiss, censée faciliter l’information aux consommateurs. Les annonces présentes sur ce site se basent sur les rappels émis par des autorités de contrôle.
Ainsi, l’Inspection fédérale des installations à courant fort (ESTI) est responsable des appareils électriques. Les médicaments dépendent de Swissmedic. La SUVA s’occupe de la sécurité sur le lieu de travail, alors que la sécurité dans les autres domaines est du ressort du Bureau de prévention des accidents (BPA). Ces organes transmettent les annonces au Bureau fédéral de la consommation, qui gère Recallswiss.
Nos recherches montrent, qu’au-delà du cas de l’oxyde d’éthylène, les renseignements présents sur Recallswiss sont lacunaires. Nombre d’articles concernés disponibles en Suisse ne sont tout simplement pas listés sur la plateforme.
Comment l’expliquer? Les Offices fédéraux ne commentent pas les cas individuels. En réponse à nos questions, ils se contentent d’écrire que les rappels en provenance de l’UE «sont traités en fonction des ressources à disposition». Ils soulignent que les fabricants et les importateurs sont tenus d’annoncer les produits dangereux.
Mais, avant de publier un rappel sur la plateforme, les entreprises doivent donner leur accord. Il n’y a qu’en cas d’urgence qu’un rappel peut être publié sans leur aval. Autrement dit, au lieu d’avertir la population le plus vite possible, les autorités protègent les intérêts de l’industrie.
En comparaison, l’Allemagne a une pratique beaucoup plus transparente. L’Institution fédérale de protection du travail et de médecine du travail publie dans sa banque de données «Produits dangereux» tous les rappels, mises en garde et autres informations dont elle a connaissance. Elle recherche activement les annonces publiées par les fabricants sur internet.
La Suisse muette sur les pizzas Buitoni
Deux denrées souillées ont fait grand bruit récemment: le chocolat Kinder contaminé par des salmonelles et les pizzas Fraich’up de Buitoni par la bactérie E.coli. Dans le premier cas, les autorités suisses n’ont relayé que le rappel portant sur toute la production de l’usine belge de Ferrero, daté du 8 avril. D’autres pays, comme l’Irlande, avaient déjà publié celui de certains produits le 2 avril.
Quant au rappel des Fraich’up, il n’apparaît pas sur Recallswiss. Les autorités ont reçu une alerte du système européen le 21 mars. Après une demande invoquant la loi sur la transparence, l’Office fédéral de la sécurité alimentaire (OSAV) précise qu’au total 32 pizzas Fraich’up avait été livrées à un distributeur suisse en octobre. Le distributeur en avait retiré 24 de la vente avant même l’intervention de l’autorité cantonale concernée. Les huit autres ont été vendues. L’OSAV ne précise pas dans quel canton ni dans quel magasin ces pizzas étaient en vente.
En catimini plutôt qu’en transparence
Dans de nombreux cas, la population suisse n’est pas informée de la dangerosité des produits car les autorités ne publient pas les rappels. Les fabricants et les importateurs se contentent d’informer directement les consommateurs dont ils savent qu’ils ont acheté le produit défectueux. Problème: les personnes qui achètent en dehors des canaux de distribution officiels passent à travers les mailles du filet.
Le Bureau de prévention des accidents (BPA) a par exemple fait rappeler 13 sortes de masques FFP2 ces deux dernières années, sans en donner le nom. Bon à Savoir a cherché à déterminer de quels masques il s’agissait. La SUVA et le BPA nous ont livré une liste dont toutes les informations importantes (marques, prix, fabricant) étaient masquées. Impossible d’en savoir plus sur ces modèles.
Et ce n’est pas la première fois. En 2015, nos collègues de K-Tipp avaient demandé la liste de tables à langer défectueuses pour lesquelles il n’y avait pas eu de mise en garde publique. Le BPA n’a transmis les informations qu’à la suite d’une décision du Tribunal administratif fédéral. Pour le BPA, cette décision ne s’applique pas aux FFP2, car il ne s’agit pas du même produit.
Mises en garde tardives, voire inexistantes
Risque de brûlure
La batterie de la montre connectée Fitbit Ionic peut surchauffer. Le fabricant Fitbit a émis un rappel début mars, avec un numéro de contact en Suisse (022 500 00 01). L’ESTI n’a pas publié de rappel sur Recallswiss.
Risque de chute
Fabricant allemand de matériel d’escalade, Edelrid a fait savoir, début février, que certains baudriers contenaient des vis défectueuses pouvant se briser et causer une chute. Le BPA n’a relayé le rappel que plus d’un mois plus tard.
Risque d’explosion
La veilleuse Mr. Maria Miffy First Light présente un risque de surchauffe et, en cas extrême, peut exploser. Les articles ont pour années de production 2017 et 2018. Le rappel a été émis début mars dans l’UE. A ce jour, il ne se trouve pas sur Recallswiss.
Substance cancérigène
Le livre pour bébé Kidsme Squeaky est molletonné avec une mousse contenant un produit cancérigène. L’UE a émis une mise en garde en décembre 2021. Lors de nos recherches, l’article était encore proposé sur un site internet suisse. Le commerçant nous a dit ne jamais avoir été informé. Aucune information ne figure sur Recallswiss.
Risque d’étouffement
La valve de la bouteille Zéfal Little Z-350 peut se détacher. Le rappel de l’UE date du 10 décembre 2021. Recallswiss l’a seulement publié le 18 janvier 2022.
Risque de blessure
Les magasins Maison du Monde ont informé en février que leur arche en bois pour enfant peut se dévisser, conduisant à un risque de blessure. Le rappel comporte un numéro de contact en Suisse (043 547 81 90). Recallswiss n’en a pas fait mention.