Les Suisses ont vu leurs factures de gaz s’envoler, depuis 2021. Les ménages fribourgeois paient désormais 14,21 centimes par kilowattheure (ct/kWh) au «Groupe E Celsius». Cela équivaut à 2842 fr., pour les besoins annuels typiques d’une maison individuelle de 20 000 kWh, hors TVA. Contre 1452 fr. pour ces mêmes besoins, au prix d’avril 2021, à 7,26 ct/kWh. Le prix est donc presque deux fois plus élevé.
La situation est similaire dans le Jura, où le prix du gaz a augmenté de près de 104% au cours des trois dernières années, passant de 9,8 à 20 centimes/kWh: au lieu de 1962 fr., une famille delémontaine paie actuellement 4000 fr.
Morges, Lausanne et le Valais limitent la casse
Le prix du gaz n’a pas explosé partout: les services industriels lausannois ne facturent actuellement «que» 40% de plus qu’en avril 2021. L’entreprise valaisanne Oiken et les services industriels de Morges se situent à un niveau similaire (+45%). Le fournisseur argovien de la ville de Baden (Regionalwerke Baden) ne facture que 18% de plus. Les services industriels de Morges expliquent avoir recouru à un «fonds de réserve sur la fluctuation du prix du gaz», créé par la Municipalité de Morges afin de pouvoir faire face à des hausses de prix spectaculaires, à l’image de celles des deux dernières années.
Forte hausse en Suisse alémanique
Outre-Sarine, le constat rejoint celui de Fribourg et du Jura et certaines entreprises facturent également plus du double, par rapport au prix d’avril 2021. C’est le cas d’Energie Thun AG, des services municipaux de la ville de Granges, d’IBC Energie, à Coire ou de Regio Energie à Soleure. Les tarifs y sont passés de 7,73 à 18,30 centimes/kWh, soit une augmentation de 136%. Cas extrême, dans le canton de Berne: chez Gasversorgung Grauholz, les prix ont presque quadruplé, passant de 6,52 à 25,5 centimes/kWh.
Crainte de la pénurie en cause
Comment l’expliquer? Les fournisseurs de gaz suisses s’approvisionnent auprès des bourses européennes, dont l’une des plus importantes est la TTF (Title Transfer Facility), aux Pays-Bas. Les prix y ont fortement baissé après les hausses massives entre octobre 2021 et le point culminant de la crise énergétique à l’été 2022. Peu avant la fin août 2022, le mégawattheure de gaz coûtait plus de 310 euros pour une livraison l’année suivante. Actuellement, il est de 31.90 euros. L’an dernier déjà, nous avions noté la même tendance pour le prix de l’électricité (lire «Les tarifs augmentent, les bénéfices aussi»).
Bon à Savoir a demandé à plusieurs fournisseurs de gaz pourquoi ils ne répercutaient pas les prix actuels à l’achat du gaz sur les consommateurs. Leur réponse: pendant la crise énergétique, ils ont dû s’assurer de grandes quantités de gaz à des prix parfois très élevés par crainte d’une pénurie. Toutefois, aucune des entreprises publiques contactées n’a accepté de dévoiler à quel moment et pour quelles dates de livraison elle achetait quelles quantités de gaz. L’entreprise Localnet de Burgdorf (BE) écrit que les fournisseurs de gaz ont été priés par la Confédération d’acheter du gaz à l’automne 2022 afin de remplir les réservoirs. Ce gaz coûteux se répercuterait encore en partie dans les tarifs actuels.
La douceur des hivers passés a également mené à des surplus de gaz, qui ont dû être revendus à des conditions moins favorables. Le Surveillant des prix Stefan Meierhans confirme que les prix du gaz pour les clients finaux ne baissent que lentement. «Sans vouloir défendre la branche», il relève que certaines justifications des fournisseurs de gaz sont plausibles.
Financièrement, de nombreux fournisseurs de gaz se portent bien: le fournisseur de gaz du canton de Zurich, Energie 360°, a augmenté ses réserves de 100 millions de francs depuis 2020, passant de 403,7 millions à 512 millions. Et l’entreprise a, malgré tout, enregistré un bénéfice net de 41,6 millions de francs en 2023.
Jocelyn Daloz
La hausse n’aurait pas dû dépasser 3,3 centimes
Le président du groupe d’intérêts pour le gaz naturel (IG Erdgas), René Baggenstos, reproche aux fournisseurs de gaz onéreux d’avoir échoué dans leur stratégie d’approvisionnement. Le groupe a évalué les tarifs de 50 entreprises gazières pour 2021 et 2023. Parallèlement, il a défini une stratégie d’approvisionnement idéale. René Baggenstos: «Avec une bonne stratégie d’approvisionnement bien mise en œuvre, le prix de l’énergie n’aurait dû augmenter que de 3,3 centimes par kilowattheure.» Sur les 50 entreprises gazières, seules cinq sont restées proches de cette valeur indicative, comme les services industriels de la ville de Berne, EWB, (+3,59 centimes/kWh) et les Services industriels de Lausanne (+3,63 centimes/kWh).
Le groupe d’intérêts pour le gaz naturel réunit de grands consommateurs de gaz comme le groupe pharmaceutique Lonza, le cimentier Holcim ainsi que Coop et Migros. Il s’engage pour des coûts énergétiques bas et une libéralisation du marché.
Que peut faire le consommateur?
- Demander au fournisseur des informations sur les prix d’achat. Il est tenu de fournir de plus amples détails.
- Faire une annonce au Surveillant des prix (site web: preisueberwacher.admin.ch (accessible en français); cliquer sur l’onglet «Contestation de prix» ou «communication», à choix). Celui-ci n’émet que des recommandations, mais elles peuvent avoir un effet: les services techniques de Glaris ont non seulement baissé le prix du gaz en avril 2023, mais ont également accordé un rabais de 12% pour l’année 2022 après l’intervention du Surveillant des prix.