Les dons des Suisses aux œuvres de bienfaisance et organisations d’utilité publique dépassent les 2 milliards de fr. par an. C’est 200 000 fr. de plus qu’en 2018, lors de notre relevé des salaires des directeurs. En examinant les réponses à cinq ans d’intervalle, force est de constater que cette générosité croissante ne s’accompagne pas d’une plus grande transparence des milieux concernés.
Face à la question du revenu du directeur ou de la directrice, sans doute la plus susceptible de déranger, les ONG bottent souvent en touche.
Sur 35 organisations contactées, seules 20 ont transmis les revenus bruts annuels 2021 et 2022 de leur dirigeant. Alors que Save the Children et Green Cross n’ont pas réagi, les Samaritains Suisse ont refusé de participer. Ces trois acteurs avaient pourtant communiqué des données par le passé. L’Aide suisse contre le Sida dit ne publier aucun chiffre, «la direction se composant d’une seule personne». Quant à la Fondation Pestalozzi, elle planche sur une transparence des salaires en interne et renonce à fournir, d’ici là, des «données externes».
Quatre autres organisations n’ont pas indiqué les revenus bruts 2022 de leurs directeurs, sous prétexte que les derniers rapports annuels n’ont pas été publiés. Des documents qui font encore défaut pour presque tous les organismes interrogés, dont la plupart ont néanmoins transmis les revenus 2022.
Certains salaires se démarquent
Enfin, le cercle des organisations préférant communiquer le salaire de la direction dans son ensemble, plutôt qu’avec des données individuelles, s’agrandit: Pro Juventute et Terre des Hommes rejoignent d’autres acteurs déjà rompus à la pratique. «Ce choix pour l’indication du salaire était une décision de notre direction, qui a changé depuis 2018», précise Terre des Hommes.
Les revenus des directeurs de ces organisations (voir le tableau «Pot commun» ci-dessus) ont de fortes chances de compter parmi les plus élevés. Une raison de ne pas se montrer totalement transparent? «Pro Juventute verse des salaires justes, mais raisonnables, qui se situent nettement en dessous des salaires courants dans l’économie privée pour des postes correspondants», se défend la fondation.
La Rega, Garde aérienne suisse, survole largement notre classement. L’organisation annonce un total de 2,374 millions de fr. pour les sept membres de sa direction. Soit 339 142 fr. en moyenne par personne. «La Rega ne peut être comparée à une organisation d’aide classique», se justifie-t-elle. «Sur le plan organisationnel, elle correspond plutôt à une compagnie aérienne avec une exploitation internationale de jets, une de vols d’hélicoptères, une école de pilotage, la maintenance d’aéronefs, une Centrale d’intervention nationale et internationale ainsi qu’un propre domaine médical de la taille d’un hôpital cantonal moyen.»
De son côté, Caritas fait valoir qu’elle emploie quelque 500 personnes en Suisse et environ 250 à l’étranger et que son volume financier annuel s’élève à plus 120 millions de fr. Pour Pro Infirmis, 2000 collaborateurs assistent 30 000 personnes en situation de handicap, pour un chiffre d’affaires annuel d’environ 120 millions de fr. Quant au directeur de la Fondation suisse pour paraplégiques, qui emploie quelque 2000 collaborateurs, il s’occupe non seulement de la gestion de tout l’organisme, mais coordonne aussi la collaboration avec les sept filiales sous sa responsabilité, souligne la fondation.
Seuil de tolérance de 150 000 fr.
La taille de l’organisation en rapport avec ses recettes, sa mission et ses caractéristiques, les responsabilités du dirigeant et son expérience, autant d’éléments à prendre en compte avant de porter un jugement sur le salaire du plus haut cadre. La question de savoir si sa fiche de paie est justifiée mérite toutefois d’être posée.
La fondation Zewo, en charge de la certification des organisations à but non lucratif qui récoltent des dons en Suisse, a sondé en 2020 le seuil de tolérance du grand public pour le salaire brut d’un directeur à plein temps qui dirige une grande organisation de plus de 100 employés: il se monte à environ 150 000 fr. par an – et de l’avis des seuls donateurs versant plus de 200 fr. par an, il ne dépasse pas 180 000 fr. «Pour nombre d’organismes de grande envergure, l'opinion de la population en général correspond à un idéal déconnecté des exigences du poste et des réalités du marché», note Martina Ziegerer, directrice de la fondation Zewo. «Certains rechignent donc aussi à donner le salaire du dirigeant pour anticiper l’incompréhension et les critiques.»
Gilles D’Andrès