Le contexte actuel pèse sur le moral des Suisses. Une enquête de l’université de Bâle réalisée du 6 au 8 avril montre que la moitié des 10 000 participants se sentait plus stressée à ces dates qu’avant le confinement. Plus inquiétant, les symptômes dépressifs s’étaient accentués chez 57% des personnes interrogées*. En France voisine, certains praticiens affichent leur préoccupation. Le psychothérapeute Benjamin Lubszynski estimait ainsi récemment que le confinement provoquera «des dégâts considérables en termes de dépression, d’augmentation de l’anxiété, d’insomnies, de crises d’angoisse, de stress post-traumatique…».
Devons-nous donc nous inquiéter pour notre santé mentale? Médecin responsable de la psychiatrie à Unisanté (VD), Régis Marion-Veyron relève une spécificité helvétique: «d’un point de vue psychologique, il est évident que le semi-confinement adopté par la Suisse a engendré moins d’impact que les mesures d’isolement strictes prises dans d’autres pays.» Une analyse qui est aussi celle de Guido Bondolfi, médecin chef du service de psychiatrie de liaison et d’intervention de crise aux HUG: «nous savons par d’autres épidémies que plus le confinement est long, plus les problèmes augmentent et que plus la restriction de liberté est importante, plus son poids se fait sentir.»
Si le semi-confinement a ménagé psychologiquement les Suisses, cela ne signifie pas pour autant que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. «Il faut admettre que cela a quand même représenté un gros bouleversement pour nous tous» poursuit Régis Marion-Veyron. La situation actuelle d’incertitude, inédite, avec des autorités naviguant à vue, est bel et bien génératrice de stress.
Personnes vulnérables: risque accru
Face à cela, nous ne sommes pas tous égaux. Les personnes ayant déjà souffert de troubles psychiques sont celles qui présentent le plus de risques de développer des symptômes graves. «La situation actuelle en remet une couche sur quelque chose qui est déjà fragile», glisse Régis Marion-Veyon.
Les évènements peuvent aussi agir comme révélateur d’une vulnérabilité psychologique jusqu’alors ignorée. «Ainsi, révèle Guido Bondolfi, certaines personnes qui fonctionnaient jusqu’alors à peu près correctement se retrouvent à décompenser parce que la situation les met sous pression.»
Et puis, il y a des cas plus bénigns, dans lesquels le surcroît de stress n’impacte pas le fonctionnement et se manifeste seulement de manière fluctuante, épisodique (lire encadré).
Certaines conséquences seront visibles à terme: «toute une série d’évènements, comme la perte de son travail ou un divorce consécutif au confinement, peuvent s’accompagner de réactions anxio-dépressives dans les mois qui suivent», note Guido Bondolfi. Les personnes qui ont été confrontées de manière violente à la mort, par exemple parce qu’elles ont failli périr à cause de la maladie ou parce qu’elles font partie du personnel soignant au front, sont, de leur côté, susceptibles de développer à terme un syndrome de stress post-traumatique.
Si les symptômes s’emballent
Les troubles du sommeil, l’irritabilité, la nervosité et l’angoisse figurent parmi les principaux troubles que le contexte actuel favorise. A partir de quel moment faut-il s’en inquiéter? «C’est la durée et la stabilité de ces changements qui font la différence et doivent alerter» note Guido Bondolfi. Dans le cadre d’une dépression, par exemple, les symptômes cardinaux qui précèdent, comme la baisse de l’humeur et l’incapacité à ressentir du plaisir et de s’intéresser aux choses qui étaient perçues comme agréable dans le passé (anhédonie), se manifestent en général tous les jours pendant deux semaines.
«Quand les symptômes s’emballent, il est important de ne pas rester seul avec ça et d’en parler à ses proches. Cela permet de mieux évaluer la situation» recommande Régis Marion-Veyon. Et l’on ne doit pas hésiter à prendre contact avec son médecin. Certaines personnes ont tendance à banaliser, à être dans le déni. Or, plus on intervient vite, plus les mesures sont efficaces. Selon Guido Bondolfi, «une consultation de trop vaut toujours mieux qu’une réaction tardive».
*fr.coronastress.ch
Structurer ses journées
Comment réduire le stress lié au Covid-19? L’étude de l’université de Bâle a identifié plusieurs comportements favorables, comme avoir une activité physique, se consacrer davantage à son hobby ou à un nouveau projet et ne pas s’informer trop souvent sur le virus! «Nous n’agissons pas tous de la même manière. Certaines personnes savent reconnaître les signes précoces de stress et se ressourcent par une promenade ou un coup de fil à des proches», relève Guido Bondolfi. «Cela reste plus facile à dire qu’à faire, mais il faut aussi essayer de maintenir au mieux le rythme de vie qu’on avait avant, en ne restant pas toute la journée en pyjama, en prenant des repas réguliers, etc. Moins on est structuré, moins on est motivé, c’est un cercle vicieux.»