Un vrai cauchemar.» C’est ce qu’a vécu Noémie* après des manipulations cervicales. Deux rotations brusques vers la droite entraînent un craquement et une sensation de picotement dans la gorge. Avertie, son étiopathe effectue une manipulation inverse, quand des nausées apparaissent. «J’ai demandé une ambulance, comme j’avais l’impression de faire un AVC», raconte Noémie. La praticienne préfère lui dire de s'étendre et de se reposer pendant qu’elle s’occupe, dans la pièce voisine, d’une autre patiente. Heureusement, Noémie arrivera à se redresser et à insister pour être emmenée aux urgences, ou l'on pourra prendre en charge son AVC.
Les suites de cet accident sont très douloureuses. Un deuxième infarctus cérébral survient après une dizaine de jours. Noémie entame un parcours du combattant, deux ans ponctués d’examens médicaux, d’expertises, de prise en charge thérapeutique et de bataille juridique face aux assurances. Sans compter les séquelles de cet épisode dévastateur, tant sur le plan physique que psychologique...
Des accidents pas si rares
«La dissection d’une artère vertébrale peut survenir après un mouvement trop brusque ou violent», explique Julien Bogousslavsky, neurologue spécialiste des affections cérébro-vasculaires, confronté à plusieurs cas par an. Des lésions provoquées par des chutes, des accidents de sport, des claques ou des manœuvres en marche arrière. Mais les manipulations cervicales intempestives demeurent le facteur numéro un, assure l’ancien chef du service de neurologie du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV).
Les rotations trop brusques de la nuque sont aussi susceptibles d’entraîner des infarctus cérébraux non pas immédiatement après les premiers maux de tête, mais des heures ou des jours plus tard.
Difficile, alors, de prouver le lien entre l’AVC et les manipulations cervicales du praticien, qui peut invoquer pour sa défense la préexistence de la dissection. Contrairement au cas de Noémie, ou l'arrivée aux urgences a eu lieu juste après la consultation. Selon Julien Bogousslavsky, les professionnels devraient éviter toute manipulation extrême de la nuque. Et il encourage les patients à les questionner.
Une «mode» dangereuse
Le physiothérapeute et ostéopathe qui suit Noémie depuis son double AVC pointe dans son cas «l’attitude catastrophique» de la praticienne. «La technique n’aurait pas dû être appliquée sans en parler avec la patiente. Et avoir continué à manipuler malgré les plaintes de cette dernière est encore plus grave.» Les mouvements de cette ampleur doivent être exécutés dans les règles de l’art: en menant une anamnèse avec le patient, en discutant de ses douleurs, et en restant à l’écoute.
L’ostéopathe fustige «cette mode d’aller se faire craquer la nuque», parfois tous les mois, par un spécialiste. La nuque ne craque pas toujours, et si on insiste en forçant sur la structure, un drame peut se produire. Que le spécialiste en question porte le titre d’étiopathe, de chiropraticien, d’atlasthérapeute, de guérisseur ou autre…
Consentement du patient
Hélas, les mauvais comportements peuvent concerner tout professionnel de santé, confirme Christian Streit, directeur de la Fédération suisse des ostéopathes (FSO). Au cours de leur cursus exigeant, les ostéopathes sont toutefois formés pour pratiquer avec soin l’anamnèse et respecter le consentement éclairé des patients. Les membres de la FSO suivent en plus des formations continues obligatoires. L’ostéopathe est censé, en cas de doutes, ne pas mobiliser les artères de la nuque.
*prénom modifié
Réagir aux gestes sur la nuque
- Si le praticien mentionne des manipulations de la nuque, ou s’il s’apprête à en effectuer, le patient devrait s’enquérir des risques et des raisons qui le poussent à agir ainsi.
- Le spécialiste devrait justifier de lui-même une telle intervention. S’il ne demande pas ses antécédents au patient et ne donne pas d’explications, c’est mauvais signe. Le patient doit poser des questions et prendre part activement aux décisions concernant sa thérapie.
- Le patient peut s’exprimer sur ses préférences et demander s’il existe des prises en charge alternatives. Il est en droit d’attendre des arguments solides. Au besoin, le praticien doit pouvoir l’orienter vers d’autres professionnels.
- Le patient devrait communiquer clairement toute sensation de douleur ou d’inconfort pendant les manipulations du praticien. Il ne s’agit pas d’endurer la douleur sans broncher, il n’est pas normal de souffrir.
- Une manipulation sur un patient ne peut être faite qu’avec son consentement. Celui-ci peut indiquer qu’il n’est pas – ou qu’il n’est plus – à l’aise avec le traitement. Il peut aussi exiger un temps de réflexion, ou refuser l’intervention. De même, si le praticien semble manquer d’empathie, d’assurance ou de professionnalisme, on peut refuser la manipulation, voire changer de thérapeute.