Soupirs et froncements de sourcils ont animé cette dégustation que les membres du jury ont décrite comme «difficile». Une politesse tout à leur honneur pour traduire une déception légitime. Il faut bien l’admettre, ces chardonnays de supermarchés n’ont pas atteint des sommets. Quand ce n’était pas l’acidité qui était pointée du doigt, c’est l’amertume qui mêlait son grain de sel. Pour se délecter de commentaires dithyrambiques, il faudra repasser.
Domination française
La profusion de chardonnays sur le marché est telle que nous nous sommes concentrés sur les vins suisses et de Bourgogne, terres d’origine du cépage. Un peu comme en football, l’équipe française partait donc favorite, d’autant qu’elle comptait dans ses rangs deux crus d’une appellation à la solide réputation: Chablis. Résultat des courses: ce ne sont pas ces deux-là qui ont fait la différence, mais la France a malgré tout confirmé son statut en monopolisant toutes les marches du podium.
A sa décharge, la Suisse présentait une équipe fluette. C’est que nous n’avons trouvé que cinq chardonnays helvétiques qui répondaient à nos critères de sélection basés sur le prix (moins de 16 fr.) et le millésime (2016 et 2017). Un choix maigre, mais, somme toute assez logique, sachant que ce cépage, très répandu sur le globe (lire encadré), ne représente que 2% de l’encépagement dans notre pays.
Une bonne surprise
Un vin est néanmoins sorti de la mêlée, de l’avis de l’ensemble du jury. Il s’agit d’un produit de l’un des plus important négociants et producteurs de vins de Bourgogne, la Maison Joseph Drouhin. Un chardonnay d’entrée de gamme, sans appellation prestigieuse, qui a séduit par son bel équilibre et sa densité: «C’est un blanc expressif et bien structuré. L’attaque est vive avec une très belle finale concentrée sur le gras», note Claire Mallet. Seul bémol: un boisé qui manque de finesse.
Derrière le vainqueur incontesté se classe l’un des chardonnays les moins chers de notre sélection. Il s’agit du Château de Dracy, également issu de l’appellation générique Bourgogne AOC. Exclusivement commercialisé par Coop, il a davantage séduit par son nez que par sa bouche: «On retrouve de belles notes d’agrumes, notamment de pamplemousse. L’ensemble est bien fait, même s’il manque un peu de corps», relève René Roger. Le Chablis Les Tisserandes complète le tiercé gagnant, avec une fraîcheur et une acidité qui a partagé le jury. «C’est un vin qui a effectivement beaucoup de vivacité, mais également une belle complexité», apprécie Arnaud Scalbert.
A la mauvaise extrémité du classement, un chardonnay de la Cave du Tunnel, à Conthey, qui a déplu à l’ensemble des dégustateurs. L’ouverture d’une deuxième bouteille n’y a rien changé: la présence de gaz carbonique et son rendu synthétique étaient identiques. Pire encore, le chardonnay de Landi, qui a carrément été déclassé avec des notes rédhibitoires de colle, voire d’éther. Là aussi, la deuxième bouteille a confirmé les gros défauts de ce Joyaux de Genève pour le moins mal nommé.
Yves-Noël Grin
Sans limites et sans frontière
Le chardonnay est le cépage blanc le plus international. Selon un rapport de l’Organisation internationale de la vigne et du vin (OIV), il était cultivé dans 41 pays, en 2017. Mais, étonnamment, ce n’est pas le plus planté des raisins blancs: il est devancé d’une courte tête par l’airen, une variété que l’on ne retrouve quasiment qu’en Espagne!
Si le chardonnay est partout, ce n’est pas un hasard. Il produit non seulement des plantes résistantes et se distingue par des talents multiples. «C’est effectivement un cépage très polyvalent, explique Julie Roeslé-Fuchs, professeur d’œnologie à la Haute Ecole spécialisée de Changins. Il supporte aussi bien les faibles que les fortes maturités. Il dispose d’une large palette aromatique et peut être travaillé en fût de chêne.» Ajoutons encore sa capacité à être assemblé et son potentiel de garde pour comprendre que le chardonnay sait décidément tout faire ou presque!