Dans les spots télévisés, la seule vue d’un bol de céréales donne la pêche à toute la famille. Dans la vraie vie, il faut parfois beaucoup de volonté pour sortir des plumes en hiver... et ce n’est pas qu’une impression. Au petit matin, s’il fait encore nuit, notre horloge interne est en mode «repos» parce que le cerveau continue à produire la mélatonine, l’hormone du sommeil.
«Dès que l’œil capte les premiers rayons du soleil, il transmet un signal à de minuscules structures logées dans le cerveau», explique Hélène Richard-Lepouriel, médecin responsable de l’Unité Humeur et anxiété aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). «Le noyau suprachiasmatique, de la taille d’un pépin de pomme, est une véritable horloge interne qui ajuste en permanence le fonctionnement de notre organisme.» La tension, la température, les intestins, ainsi que l’alternance entre la veille et le sommeil suivent ainsi un rythme de 24 heures (voir infographie). Sans cet avertissement quotidien, notre horloge interne serait un peu décalée!
Ce signal bloque la production de mélatonine (à l’effet soporifique) et favorise celle de sérotonine. Nous voilà prêts, moralement et physiquement, à attaquer la journée qui commence. Jusqu’à ce que le jour baisse, et que nous captions moins de lumière: c’est le retour progressif de la mélatonine et avec elle, de l’envie de dormir. Grâce à ce mouvement de balancier, plus nous aurons capté de lumière, plus nous nous sentirons fatigués. «Il est fondamental de s’y exposer dès le matin pour bien dormir la nuit», insiste Tifenn Raffray, directrice du Centre du sommeil de Florimont à Lausanne.
Chasser le blues
Les choses se compliquent lorsque les jours raccourcissent. Quand on se lève pour filer au travail avant l’aube, les signaux lumineux sont encore trop faibles pour faire effet sur le cerveau. Rien ne bloque alors la production de mélatonine, ce qui induit une baisse d’énergie et une grosse fatigue le jour. Avec en prime, chez les personnes sensibles, des troubles de l’humeur plus ou moins graves. Le blues hivernal touche entre 15% et 20% de la population. Entre 3% et 4% souffrent d’une vraie dépression saisonnière. Faute de contraste entre le jour et la nuit, le sommeil s’en ressent aussi et tout le mécanisme est déréglé.
L’organisme est normalement capable de s’adapter pour compenser le creux hivernal. S’il n’y arrive pas, il faut rééquilibrer le balancier jusqu’au printemps, en réglant par exemple le réveil assez tôt pour profiter un maximum des rayons du soleil. Profiter de la pause de midi pour aller prendre l’air et prévoir de plus longues sorties le week-end, même si on ne fait pas de ski: entre les sorties en ville, les sentiers de randonnée hivernaux et les balades en raquette, il y en a pour tous les goûts.
Luminothérapie au petit-déjeuner
«Quand ça ne suffit pas, nous arrivons à de très bons résultats avec la luminothérapie. Le traitement consiste à s’exposer tous les matins pendant une demi-heure au moins, pendant le petit-déjeuner par exemple, à une lampe assez puissante pour simuler la lumière du jour. C’est très efficace, avec 60% de réussite», souligne Hélène Richard-Lepouriel. L’appareil renforce en outre la capacité de capter la lumière pendant le reste de la journée.
On optera pour un modèle de 10 000 lux à 30 cm. L’achat (environ 250 fr. en pharmacie) sera remboursé sur prescription médicale, à condition de préciser qu’il s’agit d’une «dépression saisonnière». Certaines pharmacies en proposent aussi en location. Il existe des lampes plus avantageuses mais moins puissantes, ce qui implique de prolonger le temps d’exposition.
Mélatonine sur ordonnance
Les adolescents ont parfois de la peine à caler leur horloge biologique sur celle du rythme scolaire. Ils souffrent du syndrome «couche-tard, lève-tard». «Nous pouvons prescrire dans ce cas de la mélatonine à libération immédiate trois heures avant le coucher», indique Tifenn Raffray. Ce médicament n’est pas remboursé, même s’il n’est disponible que sur ordonnance médicale en Suisse. On le trouve en revanche en vente libre dans l’Union européenne.
Certaines personnes souffrent par ailleurs de réveils fréquents après 55 ans. Le généraliste peut prescrire dans ce cas des comprimés de mélatonine retard qui rétabliront la continuité du sommeil, en complément à l’exposition à la lumière.
La spécialiste déconseille l’automédication dans ces deux cas: le médicament doit être pris au bon moment et à la bonne dose. La prescription de mélatonine n’est en outre pas indiquée pour traiter les insomnies sans indications particulières (lire sur notre site «Réapprendre à dormir»)
Un défi pour la santé au travail
Comment s’exposer aux rayons du soleil quand on passe ses journées dans un bureau ou un local sans rapport avec l’extérieur? «En 2017, un jugement du Tribunal fédéral a donné un coup de pouce aux salariés», explique Christine Michel, responsable santé et sécurité au travail chez Unia. Dans la mesure du possible, les postes de travail fixes doivent bénéficier de la lumière du jour: les caisses des grandes surfaces seront ainsi situées à l’entrée.
L’employeur dispose de plusieurs options quand ce n’est pas possible: local de pause pourvu de fenêtres, éclairage artificiel avec une importante composante de bleu pour imiter les rayons du soleil ou rotation entre les postes avec et sans lumière naturelle. Ces mesures doivent être combinées entre elles. Cela ne suffit pas pour le syndicat, qui estime que seules les pauses compensatoires sont vraiment efficaces. Dans ce cas, le personnel a droit à des «pauses lumière» supplémentaires (20 minutes le matin et 20 minutes l’après-midi). Elles sont payées et comptent comme temps de travail.