Les élevages d’animaux sont une des origines principales des germes résistants aux antibiotiques. L’utilisation de ces médicaments s’y fait à large échelle. Les germes résistants peuvent se transmettre aux humains et représenter un danger mortel. Chaque année, 700 000 personnes dans le monde meurent d’infections contre lesquelles les antibiotiques ne font plus effet. En Suisse, on compte 300 décès, selon le Centre suisse pour le contrôle de l’antibiorésistance (Anresis). Un type de résistance est particulièrement inquiétant: celle aux antibiotiques dits critiques – ou antibiotiques de réserve –, très importants dans la médecine humaine et qui ne peuvent être utilisés chez les animaux qu’à certaines conditions.
Par ailleurs, un nouveau rapport de l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires donne des chiffres tout aussi alarmants. Depuis 2015, le nombre de germes résistants se maintient à un haut niveau. Plus de 30% des bactéries intestinales E.-Coli des veaux d’engraissement sont multirésistantes. Chez les porcs, les chercheurs ont même détecté 52% de staphylococcus aureus résistants à la méticilline (MRSA). Elles se trouvent sur la peau et dans les muqueuses des animaux.
Germes résistants en augmentation
Certes, il se vend de moins en moins d’antibiotiques. Toutefois, la quantité de germes résistants ne diminue pas. Elle est même en augmentation. Les experts supposent que les antibiotiques de réserve sont encore et toujours trop souvent utilisés dans les élevages. Une situation intenable aux yeux de Vincent Perreten, bactériologue à l’Université de Berne et expert dans ce domaine: «Les paysans et les vétérinaires devraient moins souvent administrer des antibiotiques à leur bétail, afin que les germes résistants diminuent.»
Avec 24% des achats d’antibiotiques, les élevages de veaux font partie des principaux concernés. Le problème: de nombreux veaux ne grandissent pas dans l’exploitation où ils voient le jour, mais sont transférés à l’âge de trois semaines vers un site de rassemblement, voire un marché bovin, avant d’arriver dans une ferme d’engraissement. Ces transports et changements d’environnement représentent un immense stress pour les jeunes animaux. Conséquence: les veaux, dont le système immunitaire n’est pas encore entièrement développé, tombent malades. On leur administre alors des antibiotiques, souvent même à deux reprises.
Une réduction des antibiotiques est possible
En 2019, les paysans suisses ont administré au total 30 tonnes d’antibiotiques à leur bétail. En comparaison européenne, la Suisse se situe en milieu de terrain. Le Danemark, la Finlande, la Norvège et la Suède ont toutefois beaucoup moins recours à ces médicaments.
Et en effet, l’utilisation des antibiotiques pourrait facilement être réduite, confirme Selina Fürst, vétérinaire du Service sanitaire veaux suisse. Lorsque les veaux reçoivent du lait maternel, des minéraux et un vaccin, les paysans s’en sortent avec nettement moins d’antibiotiques, explique-t-elle. «Et lorsque les veaux sont transférés directement de leur ferme de naissance à l’exploitation d’engraissement, le recours aux antibiotiques est encore plus rare.»
Il faudrait bannir les marchés bovins
Mais dans la pratique, on en est bien loin. La Confédération finance à hauteur de plus d’un million de francs par année des projets pour former les paysans au moyen de baisser l’utilisation des antibiotiques. Cela n’a pas empêché l’Union bernoise des paysans d’introduire en octobre dernier de nouveaux marchés bovins. Membre du comité directeur, Hans Rösti explique que ces marchés permettent aux paysans d’obtenir un meilleur prix pour leurs bêtes. Il dément que cela peut nuire à la santé des animaux.
Un avis que ne partage pas le directeur du Service sanitaire veaux suisse et professeur de médecine vétérinaire à l’Université de Zurich, Martin Kaske. Pour lui, d’un point de vue sanitaire, les marchés et les sites de rassemblements sont à bannir catégoriquement.
Dans les hôpitaux, la situation devient préoccupante, note le Centre Anresis. Son directeur Andreas Kronenberg appelle: «Il faut réduire l’usage d’antibiotiques partout où cela est possible en médecine humaine comme en vétérinaire.»
Daniel Mennig /sp
Zoom: Importations illégales
Les efforts mis en place afin de réduire les résistances aux antibiotiques sont parfois contournés. Il arrive que les antibiotiques soient importés en Suisse illégalement. Le dernier gros cas du genre en date à être découvert remonte à mai 2018. Des paysans s’étaient jusqu’alors approvisionnés pendant des années à l’étranger. Les personnes incriminées s’en sont toutefois plutôt tirées à bon compte. Selon Swissmedic, 70 amendes d’une somme totale de 48 200 francs ont été émises. Cela représente en moyenne 688 francs par amende.
En détail: Banque de données nationale coûteuse et inutilisable
Depuis janvier 2019, les vétérinaires suisses doivent enregistrer la remise d’antibiotique dans un système d’information national (SI ABV). Son but est de garder une vue d’ensemble de l’utilisation de ces médicaments. Cela fait partie de la stratégie antibiorésistance (StAR) de la Confédération. Nous avons demandé un accès à cette banque de données sur la base de la loi sur la transparence. L’accès nous a été refusé. Explication: à cause de difficultés initiales, les données des vétérinaires ne sont pas exploitables, car elles contiennent des erreurs. Le développement et la mise en place du SI ABV ont coûté jusqu’ici 1,5 million de francs.