Stéphanie Blondel en a encore les larmes aux yeux. Et peine à dissimuler son sentiment d’injustice: «Je veux bien admettre avoir fait une erreur, mais je trouve qu’elle ne vient pas que de moi», s’indigne la mère de famille.
Le 8 octobre, elle commande des bols sur le site de vente Mymuesli.com. Rien de plus facile: en sélectionnant le service de paiement sur facture qui appartient à la branche allemande de la banque en ligne Klarna, pas besoin de compte: le client doit simplement saisir ses coordonnées et son adresse e-mail. C’est là que les ennuis commencent: notre lectrice a ajouté par erreur un «p» à son adresse e-mail. Ne voyant pas arriver de confirmation, elle pense à un bug. Elle passe donc à nouveau sa commande plus tard dans la journée, et reçoit, cette fois bel et bien, un mail qui le confirme. Le montant de l’achat s’affiche également dans le décompte de son application Klarna, qu’elle utilise depuis longtemps. Lorsqu’elle réceptionne deux colis trois jours plus tard, Stéphanie Blondel ne s’en étonne pas. Il y a certes trois bols en plus, mais aucune facture. Elle pense qu’ils sont offerts et paye son dû à Klarna.
Mauvaise surprise en décembre, lorsqu’elle reçoit un rappel de Klarna. Persuadée d’avoir déjà payé, elle les contacte immédiatement. Aucune somme en souffrance n’apparaît sur son décompte en ligne. Ce que lui confirme le Service client, qui lui dit que la commande est réglée. Pourtant en janvier, c’est la douche froide: la société de recouvrement Arvato Infoscore lui notifie une sommation pour le compte de Klarna. A une créance de base de 46.70 fr., s’ajoutent désormais, en plus des intérêts, 42 fr. de frais de rappel, 35 fr. de «recherche de solvabilité» et 80 fr. de «frais d’intervention». Désemparée, la mère au foyer ne comprend toujours pas de quoi il s’agit.
Prestataires intransigeants
Un véritable dialogue de sourds s’engage alors avec Arvato Infoscore, Klarna et Mymuesli. La société de recouvrement renvoie notre lectrice sèchement chez Klarna. Laquelle l’invite à régler le souci avec Mymuseli.com. C’est finalement le site qui identifiera pourquoi Stéphanie Blondel n’a pas reçu la facture, faute d’adresse électronique valide. Mais pas question de faire un geste: la marchandise a été livrée et la réclamation arrive trop tard. Interpellé par Bon à Savoir, Mymuesli regrette cette situation, mais campe sur ses conditions générales: le client est responsable de donner une adresse correcte. La société précise ne toucher aucun pourcentage sur les frais de retard réclamés. Et explique que dans le système du paiement sur facture, Klarna règle la note au commerçant, et récupère les droits sur la dette. Puis se charge de la réclamer au consommateur.
Contactée, Klarna reste inflexible. Tout est de la faute de la cliente «qui n’a pas communiqué le numéro de commande correct» lors de sa prise de contact en décembre, d’où la confirmation que tout était payé. La banque ajoute qu’un achat avec une adresse e-mail inexacte ne permet pas de visualiser l’ensemble des commandes sur l’application. La réponse peine à convaincre notre lectrice, qui avait expressément demandé si elle pouvait jeter le rappel, et s’était fiée aux renseignements reçus. Rien à faire. Pour Klarna, elle doit se débrouiller avec Arvato infoscore. La société de recouvrement, de son côté, refuse d’annuler les frais supplémentaires qu’elle considère «conformes aux dispositions légales».
Des frais illicites
Découragée, Stéphanie Blondel a tout payé. Malheureusement. Car dans son cas, seule la créance de base de 46.70 fr. et un intérêt de retard de 5% par an étaient dus. Grégoire Geissbühler, avocat et auteur d’une thèse sur le recouvrement privé de créances, confirme le caractère abusif des autres frais: «Si le créancier choisit de faire appel à un tiers pour des démarches simples, telles que l’envoi d’une lettre, il doit en assumer lui-même les coûts. Des démarches inutiles, telles qu’une recherche de solvabilité, se justifient encore moins. Klarna la vérifie déjà avant d’accepter un achat à crédit.»
La pratique a pourtant la vie dure. Arvato Infoscore n’est, hélas, pas la seule société de recouvrement à prétendre à de tels frais en Suisse. Face à l’inertie politique (voir encadré), la seule solution reste de s’y opposer par exemple à l’aide de notre outil «Factures, poursuites: que faire?».
Silvia Diaz
Le Far West, c’est en Suisse
En France, et sauf strictes exceptions énumérées dans la loi, les sociétés privées n’ont pas le droit de facturer au débiteur les frais de recouvrement. Les sanctions sont sévères: jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende. Aux Etats-Unis, pays pourtant connu pour son libéralisme, un organe de surveillance fédéral encadre la profession et peut sévir au besoin. Rien de tel en Suisse, où l’on mise plutôt sur l’autorégulation. Les lésés doivent saisir individuellement, et à leurs frais, les Tribunaux en cas d’abus.