Il y a cette bouchère qui, visage fermé, corps tendu, me réprimande lorsque je m’approche trop à son goût. Il y a cet homme d’âge mûr qui, juste avant que nos pas ne se croisent en forêt, couvre son visage avec son foulard. Il y a cette petite fille qui, à peine me voit-elle au bout du chemin, attrape son frère et l’éloigne au plus vite.
Mais il y a aussi cette femme qui s’arrête et me laisse caresser son chien. Cette conteuse qui fait de mes courses à la ferme un moment de magie et d’aventures. Et cet ami, resté chez lui depuis trois semaines, qui brave sa peur pour m’apporter un lapin de Pâques.
Aujourd’hui plus que jamais, nos relations sociales sont ébranlées. Chacun réagit à sa manière, guidé par sa peur ou son courage. Mais la plupart attendent la même chose, un retour à la «normale». Ne devrait-on pas prendre le Covid-19 pour ce qu’il est aussi: l’occasion de revoir notre mode de vie? Il a fallu faire autrement et on a su le faire. On pourrait s’en souvenir en signe de respect pour ceux qui souffrent et en guise d’honneur à la mémoire de ceux qui ne sont plus là.
On laisserait plus souvent les voitures au garage et les vélos sur les routes. On continuerait de déserter le bitume et d’arpenter les sentiers des forêts. On délaisserait les supermarchés et soutiendrait l’agriculture locale. On ressortirait nos jeux de société et apprendrait à faire du pain. On écouterait le silence et savourerait le temps donné par nos agendas vides. On oublierait les virées shopping et les vols à Madrid… Bref, on vivrait autrement.
L’espoir fait vivre, diront certains. Mais l’espoir, ce n’est pas rien. Au contraire, c’est tout. Sans lui, on ne saurait préserver le monde d’aujourd’hui pour qu’il soit encore là demain.
Sou’al Hemma