Je vais chez la doctoresse Ludmila Moncilli depuis une dizaine d’années. Au fil du temps, nous avons établi une relation de confiance», témoigne Sandra Marthaler. «Lors de ma dernière consultation, au début de l’automne, elle m’a expliqué qu’elle ne pouvait pas m’examiner: elle n’accepte désormais plus les patientes pesant plus de 110 kilos, ce qui est mon cas.»
C’est lors de la dernière consultation de cette lectrice fribourgeoise, à la fin de 2019, que le fauteuil gynécologique s’est bloqué. Son poids est stable depuis longtemps et la charge maximale supportable est, certes, de 180 kilos, mais le siège est équipé de deux appareils supplémentaires. Le colposcope, composé d’une loupe binoculaire et d’une caméra, permet la détection précoce de cancers. Quant au laser, utilisé notamment en gynécologie esthétique, il améliore l’élasticité de la muqueuse génitale et traite les lésions du col de l’utérus.
Ces outils pèsent, à eux deux, 70 kilos, dont 45 kilos pour le laser et le dispositif d’aspiration de fumée. Ludmila Moncilli a acquis ce dernier appareil en 2019, ce qui peut expliquer que la chaise datant, elle, de 2009, n’ait pas donné de signes de fatigue avant: au final, le poids de la patiente ne peut en effet pas dépasser 110 kilos (lire encadré).
«Les dégâts engendrés par le surpoids de ma patiente se sont élevés à 2562 fr., montant non remboursé par mes assurances, détaille la gynécologue. J’ai expliqué gentiment à cette patiente que j’étais navrée, mais que sa sécurité n’étant pas garantie, il était préférable qu’elle se rende dorénavant à l’Hôpital cantonal où le matériel est mieux adapté à sa morphologie.»
De son côté, Sandra Marthaler témoigne être sortie du cabinet choquée et, surtout, profondément culpabilisée. «Madame Moncilli a insisté sur le fait que la réparation lui avait coûté cher. Je me suis sentie rejetée, avec la perspective d’avoir perdu une interlocutrice en qui j’avais totale confiance.»
Attitude discriminatoire
Sur le plan légal, un médecin a le droit refuser de traiter un patient, sauf en cas d’urgence. «Si le mécanisme du fauteuil a subi un dommage, je peux comprendre la réaction de cette consœur», fait valoir le secrétaire général de Gynécologie suisse, Thomas Eggimann.
L’argument ne convainc pas Simon Zurich. Le vice-président de la Fédération suisse des patients juge ce témoignage glaçant et rappelle que le 10% de la population souffre d’obésité. «La réaction de Ludmila Moncilli témoigne d’une attitude discriminatoire envers certaines catégories de patients. Elle est contraire au serment de l’Association médicale mondiale dans lequel le praticien s’engage à respecter la dignité du patient et à faire son devoir sans «considérations d’âge, de maladie ou d’infirmité notamment.»
Cet épisode confirme les conclusions de plusieurs études selon lesquelles les personnes en surpoids essuient des discriminations au quotidien. «Dans le domaine sanitaire, ils subissent des préjugés et des réticences à la prise en charge, dénonce Simon Zurich. Dans la mesure où le lien de confiance est rompu, il n’y a pas d’autre issue que de trouver un praticien plus humain.»
Des équipements toujours plus lourds
Quand un médecin fixe de nouveaux appareils sur un dispositif existant, comme c’est le cas ici, il doit en assumer la responsabilité. Le siège installé, il y a onze ans, dans le cabinet de Ludmila Moncilli, a été entretenu dans les règles, mais, compte tenu des accessoires ajoutés récemment, il arrive aux limites de ses possibilités. La réparation effectuée n’est toutefois pas exceptionnelle. «Il est très important, dans un tel cas, de n’actionner qu’un moteur à la fois plutôt que de recourir à la fonction de mémoire qui en active deux ou trois pour amener la chaise dans la bonne position», relève Caroline Meynis, directrice de Schmitz SA.
Le fabricant signale qu’il existe désormais un fauteuil supportant jusqu’à 250 kilos et testé en usine pour en tolérer 1000. Cet accessoire répond aux besoins croissants des praticiens en matière d’équipements supplémentaires. Il permet, d’autre part, d’accueillir les patientes sans discrimination.