Quelle est la qualité de l’eau qui sert à préparer le café du matin? Pour le savoir, nous avons mené une large enquête sur l’eau potable, en collaboration avec l’émission On en parle(RSR-La Première). Nous nous sommes rendus, au petit jour, dans quatorze ménages volontai res de Suisse romande, soit deux par canton (lire encadré). Nous avons également fait analyser six eaux minérales parmi les plus vendues dans les grandes surfaces, dont celles avantageuses de Coop, Denner et Migros.
Selon les prescriptions légales, les valeurs limites ne doivent être mesurées qu’après avoir laissé couler l’eau pendant plusieurs minutes. Peu de consommateurs le font toutefois. Nous avons donc décidé de nous mettre en situation réelle et de la recueillir dès les premières gouttes, sans y toucher, et sans désinfecter l’embouchure du robinet. Cette méthode visait aussi à repérer d’éventuelles traces de métaux.
Tous les échantillons analysés obéissaient aux normes légales. Les experts n’ont ainsi pas trouvé de traces de plomb, ni de bactéries pathogènes susceptibles de rendre malade. Mais la présence de nombreux résidus chimiques dans l’eau potable nous a laissés perplexes. Une eau minérale en contenait également.
Eau potable: nickel et germes
Nous avons trouvé du nickel en concentration supérieure à la valeur limite européenne (20 µg/l) à Genève (26 µg/l) et à La Tour-de-Trême (37 µg/l). Les fournisseurs de ces deux réseaux relèvent que, selon leurs analyses, les concentrations dans l’eau du réseau sont bien inférieures. Ils expliquent donc ce résultat par un contact prolongé avec les conduites du bâtiment ou le revêtement chromé protégeant la robinetterie. D’où l’importance de laisser couler l’eau avant de la boire.
Neuf échantillons présentaient une quantité de germes aérobies mésophiles plus élevée que la limite légale (300 UFC/l). Tous les services concernés imputent ce problème à notre méthode de prélèvement. La première eau du matin a en effet stagné toute une nuit dans la chaleur ambiante de la maison, ce qui réunit les conditions idéales pour le développement de bactéries. Il suffit en outre d’un filtre à calcaire ou d’un brise-jet mal nettoyés pour qu’elles se multiplient.
Un prélèvement contenait encore des traces de coliformes totaux et un autre de streptocoques fécaux. «Ces résultats peuvent s’expliquer par des mains sales ayant touché le robinet ou par une éponge de nettoyage usagée», relève Claude Ramseier, chimiste cantonal jurassien et président du groupe Eau potable de l’Association des chimistes cantonaux de Suisse.
Micropolluants tenaces
C’est à Tramelan (BE), à Renens et Mathod (VD) que nous avons trouvé le plus de traces de pesticides, parmi lesquels de l’atrazine. Interdit en France et en Europe depuis plusieurs années, ce puissant désherbant produit par un société suisse vient seulement d’être banni des champs helvétiques. De quoi inquiéter Nathalie Chèvre, écotoxicologue à l’Université de Lausanne, même si les normes légales sont respectées: «L’ingestion d’un cocktail de substances peut avoir des conséquences sur l’organisme inconnues à ce jour.»
A Tramelan, les autorités communales relèvent que les pesticides ne dépassent pas la limite légale. La concentration élevée de benzotriazole inquiète en revanche les services compétents. Ils proposent de procéder à de nouvelles analyses pour déceler l’origine du produit et déterminer la zone de captage qui contient cette substance.
Le résultat obtenu à Renens reflète grosso modo la composition de l’eau du Léman qui approvisionne partiellement la région lausannoise. On y trouve aussi bien les restes de pesticides utilisés dans les cultures et qui finissent dans le lac que les déchets des entreprises pharmaceutiques situées le long du Rhône. Genève obtient de meilleurs résultats à cet égard, les micropolluants étant éliminés par des filtres à ozone et à charbon actif. «Nous allons aussi en équiper dans un proche avenir les stations de potabilisation de Lutry et Saint-Sulpice», explique Henri Burnier, d’Eau-service Lausanne, qui ap provisionne Renens.
Eaux minérales: à la source
Quant aux traces de pilules contraceptives que nous avons trouvées à Chez-le-Bart, elles n’avaient jamais été décelées dans les analyses effectuées par la commune, qui y voit un problème général de société. Les communes de Mathod et de Courgenay n’ont pas répondu à nos questions.
La loi est sévère avec la propreté des eaux minérales à la source, car elles ne doivent pas contenir plus de 100 UFC/l de germes aérobies mésophiles avant l’embouteillage. Aucune prescription ne régit en revanche leur composition, après leur mise en bouteilles, si bien que toutes les valeurs obtenues par le laboratoire répondent aux exigences. Un argument relevé par chacun des fabricants, quelle que soit la quantité de germes décelée.
La présence de nonylphénol dans l’eau de M-Budget nous a davantage inquiétés. Aproz, qui est à la source de ce produit, se dit étonnée de ce résultat: «Nous n’avons à ce jour jamais détecté de nonylphénol dans nos eaux minérales.» Le producteur indique avoir augmenté la fréquence des analyses sur la source pour s’assurer de sa qualité. Claire
Houriet Rime
Bonus web:Pour que l’eau potable le reste
Pour télécharger le tableau comparatif, se référer à l'encadré ci-contre.
Les détails du test
Dans le cadre d’une large enquête sur l’eau potable menée avec l’émission On en parle (RSR-La Première), nous avons prélevé de l’eau potable chez quatorze particuliers, soit deux par canton romand.
Nous avons prélevé deux litres au robinet de la cuisine à l’aube, après une nuit sans en avoir tiré l’eau. Cette démarche visait à tester la qualité du liquide qui sert, la plupart du temps, à préparer la première boisson de la journée. Elle ne correspond cependant pas aux prescriptions légales qui prévoient de laisser couler l’eau cinq minutes avant toute analyse.
Nous avons ensuite acheté six eaux minérales sans gaz parmi les plus vendues en Suisse.
Ces échantillons ont été livrés au Laboratoire Scitec Research à Lausanne qui a analysé les substances suivantes.
> Métaux lourds – Le nickel provient de la robinetterie et peut être cancérigène s’il est absorbé en grandes quantités. La Suisse n’a pas fixé de valeur limite. L’Union européenne (UE) la situe à 0,2 µg/l. Le laboratoire n’a en revanche pas trouvé de traces de plomb dans les échantillons analysés.
Microbiologie
> Germes aérobies mésophiles – Ces bactéries omniprésen tes dans l’environnement se développent en présence d’oxygène et à température moyenne. Une concentration élevée laisse supposer une contamination de l’eau potable par le sol ou un séjour trop long dans les conduites. En Suisse, la valeur limite UFC (unités formant colonie) est de 300 UFC pour l’eau potable et de 100 UFC pour l’eau minérale avant l’embouteillage.
> Coliformes totaux et streptocoques fécaux – Ces bactéries ne sont pas pathogènes, mais ce sont de bons indicateurs de l’hygiène, car leur présence indique une pollution fécale. On les trouve dans les eaux usées et le sol. Les experts n’ont en revanche pas trouvé d’Escherichia coli (bactéries intestinales pathogènes) dans les échantillons.
Micropolluants
Les concentrations de ces résidus de l’agriculture et de l’industrie sont infimes. On les mesure en microgrammes par litre (µg/l). Ces substances sont toxiques en concentrations élevées pour l’homme, comme pour l’animal. On ignore en revanche leurs effets à long terme en concentration minime.
La valeur limite pour l’eau de boisson en Europe est fixée à
0,5 µg/l pour l’addition de tous les micropolluants et à 0,1 µg/l pour chaque substance. L’Office fédéral de la santé publique a fixé une limite de précaution à 0,075 µg/l. Les totaux obtenus dans notre enquête sont largement inférieurs, car le laboratoire n’a recherché que certaines substances.
> Pesticides
Herbicides, fongicides et désherbants sont utilisés en agriculture et finissent leur course dans l’eau. Certains sont interdits aujourd’hui, mais il faudra des années pour en évacuer toutes les traces.
- L’atrazine est un herbicide. Interdite depuis plusieurs années dans UE, cette substance vient aussi d’être bannie en Suisse. Elle peut avoir des effets sur les amphibiens (grenouilles, salamandres). D’autres études démontrent une baisse de la fertilité chez les employés des usines qui la fabriquent.
- La dichlorobenzamide est une substance émise lors de la décomposition du dichlobenil, un herbicide qui s’infiltre facilement dans les eaux souterraines, et donc dans l’eau potable.
- Le métalaxyl est un fongicide qui détruit les champignons parasites des végétaux.
- La simazine est un désherbant à usage limité, mais on en trouve encore dans les eaux souterraines.
Médicaments et divers
La carbamazépine est un médicament soignant l’épilepsie et régulant l’humeur. La metformine est un antidiabétique oral utilisé dans le traitement du diabète et la puberté précoce. Le benzotriazole est employé comme additif anticorrosif dans l’industrie. On le trouve aussi dans les détergents pour lave-vaisselle.
Perturbateurs endocriniens
Ces molécules agissent sur l’équilibre hormonal. Et même à très faibles doses. Sans être toxiques, elles peuvent perturber l’organisme de façon discrète, parfois difficile à reconnaître. Leur impact peut se reporter sur les descendants.
Elles sont ainsi susceptibles d’altérer la croissance, le développement, le comportement, la production, la circulation sanguine, la fonction sexuelle et reproductrice.
> Nonylphénol: composé organique synthétique produit lors de la décomposition d’un détergent.
> Bisphénol A: composé stabilisant présent dans de nombreux objets en plastique. Il diminue, à hautes doses, la quantité de spermatozoïdes, modifie l’équilibre hormonal et augmente le risque de maladies cardiovasculaires. Ses effets sont amplifiés chez l’enfant.
> L’éthinylestradiol est l’un des principaux composants de certaines pilules contraceptives. Il est évacué dans la nature par l’urine et les fèces, sans qu’on en connaisse les effets.