Les enfants adorent la peinture à doigts. Le hic, c’est que de nombreux produits contiennent des substances problématiques et, parfois dans de fortes concentrations. Depuis bientôt dix ans, celles-ci sont en effet régulièrement épinglées par le Laboratoire cantonal de Bâle, et plusieurs articles sont à chaque fois retirés de la vente. Impossible en revanche de connaître les marques concernées.
Nous avons donc décidé de faire analyser les plus vendues dans les commerces suisses, afin de savoir si elles contiennent, ou non, des composants critiques, et dans quelles proportions. Pour ce faire, nous les avons confiées au Laboratoire allemand SGS Institut Fresenius qui a vérifié la présence de métaux lourds, de colorants et de conservateurs notamment (lire encadré).
Verdict: deux parmi les huit produits analysés n’auraient jamais dû se retrouver dans les rayons. Il s’agit des peintures à doigts de Franz Carl Weber et de celles de Pelikan (voir tableau). Toutes les deux dépassent en effet les normes légales en vigueur.
Dix fois la norme autorisée
La teneur en nitrosamines de la Wooz’art est particulièrement préoccupante. Avec une concentration respective de 0,5 et de 0,2 milligramme de N-nitrosodiéthanolamine (NDELA) les couleurs vert et rouge contenaient en effet plus de dix fois la quantité admise! Or, ce composant est facilement absorbé par la peau. Et pour ne rien arranger, il est suspecté d’être cancérigène.
Selon l’Institut fédéral allemand pour l’évaluation des risques, le risque de cancer chez les enfants est accru dès 0,05 mg/kg de nitrosamines déjà. C’est pourquoi la limite est actuellement fixée à 0,02 mg/kg. Toutefois, selon Urs Hauri du Laboratoire cantonal de Bâle, «l’utilisation de cette substance cancérigène peut être et devrait être évitée dans les peintures à doigts».
Confronté aux résultats de notre test, Franz Carl Weber a immédiatement réagi en retirant la Wooz’art de son assortiment. La société précise également avoir pris contact avec le Laboratoire cantonal de Bâle, afin de déterminer si un rappel de produit s’impose.
La gouache Mucki achetée chez Migros dépassait également la valeur limite admise pour les nitrosamines, mais de peu. C’est pourquoi nous l’avons dévaluée sur ce critère-là. Elle obtient toutefois l’appréciation globale «bon». Interpellé, le fabricant met en cause les résultats de notre test. Il affirme que ses propres tests n’ont révélé aucune trace de nitrosamines.
Allergies et formaldéhyde
La Pelikan contient aussi du NDELA. Mais, ce n’est pas tout: elle dépasse aussi massivement la limite autorisée pour le formaldéhyde. Au total, les experts en ont mesuré 1360 mg/kg. Selon Urs Hauri, cette valeur n’est que rarement mesurée. Sans compter qu’elle est extrêmement élevée pour une peinture à doigts. De surcroît cette substance peut provoquer des allergies lorsqu’elle est mise en contact avec la peau. Elle est aussi susceptible d’irriter les yeux ainsi que les muqueuses du nez et de la bouche et d’augmenter le risque de cancer à sur le long terme. Cette forte concentration est due à l’utilisation de bronopol, un composant organique libérateur de formaldéhyde. Il devrait par conséquent être évité dans de telles gouaches.
Interpellé, Pelikan rétorque que les quantités mesurées ne présentent pas un grand danger, compte tenu du fait que les peintures à doigts sont généralement étalées en petites quantités. En outre, les résultats de ce test concernent uniquement les lots fabriqués avant octobre 2013. La composition a été modifiée depuis. Pelikan précise encore être prêt à échanger gratuitement le produit aux clients qui en feraient la demande.
Tous les articles ont été testés selon la norme FprEN 71-7:2013. Elle entrera en vigueur prochainement dans l’Union européenne et sera appliquée en Suisse dès 2015, selon l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires. Quoi qu’il en soit, en vertu du droit actuel en vigueur dans notre pays, les deux produits incriminés n’auraient jamais dû se trouver dans les rayons.
La Creations, vendue chez Toys“R“Us, est jugée «satisfaisant». Son goût n’est cependant pas suffisamment amer pour dissuader un enfant de se lécher les doigts. A l’inverse, les Klecksi, SES Creative et Mara se sont révélées irréprochables sur tous les points. Elles obtiennent par conséquent l’appréciation «très bon».
Concentrations inacceptables
Les manquements constatés sont particulièrement inquiétants. Les enfants sont en effet plus vulnérables que les adultes aux substances problématiques. D’une part, ils vivent plus longtemps. Par conséquent, ils sont plus à même de développer un cancer durant ce laps de temps. Ils sont également en pleine croissance, ce qui favorise aussi le développement du cancer. «Il est donc logique que la présence de composants potentiellement cancérigènes dans les jouets pour enfants soit strictement réglementée», commente Michael Arand, toxicologue à l’Université de Zurich.
Certes, les deux peintures à doigts jugées «peu satisfaisant» ne mettent pas directement la santé des enfants en danger. Il est toutefois important que la concentration en substances problématiques soit maintenue le plus bas possible et les normes respectées. C’est pourquoi les valeurs mesurées sont «absolument inacceptables», selon le toxicologue.
Alexandra Uster / chg
En détail
Les critères du test
Nous avons confié les huit articles au Laboratoire allemand SGS Institut Fresenius qui a recherché la présence des substances suivantes.
- Substances problématiques dont les nitrosamines: le laboratoire a recherché la présence d’hydrocarbures aromatiques polycyliques (HAP), considérés comme cancérigènes, ainsi que d’amines aromatiques primaires. Il n’en a trouvé aucun, ici. Les spécialistes ont également vérifié si les peintures contenaient des nitrosamines comme la NDELA.
- Colorants et conservateurs: les experts ont recherché la présence de substances problématiques, comme le formaldéhyde. Ils ont ensuite vérifié si les valeurs limites fixées par la loi étaient respectées.
- Substances amères: tous les produits testés déclarent contenir du benzoate de dénatonium, une substance très amère employée pour décourager les enfants de lécher ou de manger la peinture. Pour les besoins du test, les peintures ont été diluées dans de l’eau dans une concentration de 1:100. Sept experts ont ensuite vérifié lors d’un test sensoriel si l’amertume était suffisante.
- Métaux lourds: le laboratoire a vérifié si les gouaches contenaient des métaux lourds, et dans quelles quantités.