Son origine est bien loin des podiums de mode. A la fin du XIXe siècle, sa robustesse fait le bonheur des travailleurs américains, bûcherons et mineurs en tête. Ce n’est que vers 1930 que le jean va peu à peu conquérir le monde pour être adopté par toutes les couches sociales. Et, s’il a longtemps véhiculé une image virile, voire de mauvais garçon dans les années 1950, il va même finir par charmer la gent féminine.
Malgré son évolution, le denim reste un tissu résistant. Mais, au fil des lavages, il a tendance à se délaver, voire à déteindre sur les autres habits. C’est ainsi que nous avons confié dix modèles pour dames et dix autres pour messieurs à un institut allemand spécialisé dans les textiles. Les experts ont pu évaluer comment ils supportaient les passages dans la machine et s’ils contenaient des polluants (lire encadré). Les éléments esthétiques, comme la coupe, n’ont pas été jugés.
Le moins cher se fait épingler
Chez les hommes (voir tableau), quatre pantalons ont obtenu la mention «bon», contre trois chez les femmes (voir tableau). Mais, dans un classement comme dans l’autre, ce ne sont pas les grandes marques qui ont triomphé, mais deux jeans vendus moins de 60 fr.: le Canda C&A Katie et le H&M Slim.
Si le H&M masculin a brillé, c’est tout l’inverse du modèle féminin. En effet, le Skinny est certes le moins cher de tous, mais c’est le seul qui contenait un polluant. Il s’agit, en l’occurrence, de nonylphénol éthoxylé qui appartient à la famille des alkylphénoléthoxylates (APEO).
La concentration atteignait 54 milligrammes par kilo. C’est inférieur aux normes du label Oeko-Tex, mais les APEO déploient plusieurs effets néfastes: elles interfèrent avec le système hormonal, s’accumulent dans l’environnement et sont toxiques pour les organismes aquatiques. C’est pour cela que le H&M Skinny a été dévalué d’un demi-point. D’autant que les autres marques testées ont démontré qu’il était possible de fabriquer un pantalon en se passant de ces composés nocifs.
Métamorphose surprenante
Lorsqu’on choisit un jean pour son esthétisme, on a pas forcément envie de le voir changer de couleur après quelques lavages. Il est évident que tous les pantalons étaient plus clairs après les dix passages à la machine que le laboratoire leur a fait subir. Les Diesel Skinzee et l’Angels Dolly, tous les deux pour dames, ainsi que le Charles Vögele Tim pour messieurs ont été les plus sensibles au phénomène du délavage.
En observant comment la teinte du denim évoluait, les experts ont été plus intransigeants encore lorsque celle-ci avait tendance à changer de nuance. C’est le cas du Diesel Skinzee qui était presque noir à l’origine pour finir bleu au terme de notre test. Moins prononcée, une modification de couleur a également été relevée sur deux autres modèles dames – Ellen Amber Angela et H&M Skinny – ainsi que sur les Levi’s 501, Charles Vögele Tim et Jack Jones Clark Original pour messieurs.
En réaction, le distributeur suisse de la marque Angels répond que le Dolly a été vendu à plus de 100 000 exemplaires en dix ans et que les plaintes sont pratiquement inexistantes. Chez Diesel, on soutient que l’évolution de la couleur indigo au lavage donne un aspect unique aux produits. Même argumentaire chez Jack Jones qui estime que le délavage de son jean lui donne un look unique. Pour sa part, Migros déclare que le Angela testé provenait d’un fournisseur auprès duquel elle ne s’approvisionne plus, en raison de problèmes de qualité.
De l’eau dans la cave
Malheureusement, le passage dans la machine n’a pas que des incidences sur la teinte du denim. Aussi fâcheux que cela puisse paraître, certains jeans rétrécissent au lavage. Cinq modèles ont per-du presque 3 cm dans la bataille du tambour: le Jinglers C&A 3 pour messieurs ainsi que les Diesel Skinzee, Angels Dolly, S.Oliver Smart Hipster Straight et H&M Skinny pour dames.
Face aux résultats, C&A admet que son produit n’est pas conforme à ses exigences et que des améliorations seront apportées. Pour sa part, Angels ne peut expliquer le phénomène que par un lavage à plus de 30°C. Or, il est vrai que tous les jeans ont passé en machine à 40°C. La raison? C’est le cycle que les ménages utilisent le plus fréquemment, même lorsque les fabricants recommandent un lavage à 30°C. Il faut dire aussi que l’industrie textile a tendance à indiquer une température plus basse pour se prémunir d’éventuelles réclamations.
Hormis le sévère rétrécissement des cinq modèles mentionnés, d’autres ont bougé dans des proportions encore acceptables. Mais il faut souligner aussi que le Canda C&A Katie pour dames ainsi que les Maddison Regular Fit et H&M Slim pour hommes n’ont absolument pas bronché.
Du bleu qui s’en va
Il est bien connu que les jeans ont tendance à déteindre sur d’autres vêtements au lavage. La couleur des pantalons pour femmes Street One Giorgia, Ellen Amber Angela et H&M Skinny ainsi que le Stooker Frisco s’est retrouvée sur des morceaux de coton, alors que le bleu du S.Oliver a migré sur de la viscose. Dans cette mêlée, c’est le Gardeur Nigel 1 qui a le plus déteint, principalement sur un tissu polyacrylique.
Gardeur ne s’émeut pas des résultats, arguant que c’est de notoriété publique que l’indigo perd de sa couleur. Au sujet de son Stooker Frisco, Migros estime que la déteinte reste dans une plage de tolérance acceptable. Quoi qu’il en soit, on peut s’épargner de vilaines surprises en évitant de mélanger des vêtements clairs aux jeans lors du passage à la machine.
On sait aussi que le frottement du denim peut suffire à le faire déteindre sur d’autres matières. Dans notre test, tous les articles se sont bien comportés lorsqu’ils étaient secs. A l’état humide, les modèles pour dames de Street One, de Charles Vögele et de Diesel ont passablement déteint. Mieux vaut donc éviter de poser ses fesses sur des coussins clairs et délicats lorsque le pantalon est neuf…
Jeannette Büchel / yng
EN DÉTAIL
Les critères du test
L’Institut international de recherche textile Höhenstein à Bönnigheim (D) a examiné les jeans hommes et femmes selon les critères suivants.
- Impact du lavage: les experts ont passé tous les pantalons à dix reprises en machine. Ils les ont lavés à 40°C avec un détergent pour les couleurs, puis laissé sécher sur une corde à linge. Ils les ont ensuite comparés avec un modèle neuf pour déterminer l’influence du lavage sur leur apparence. Et ont observé à quel point la couleur s’était délavée et modifiée. Le blanchissement des bords et des coutures ainsi que la dégradation de l’étiquette de la marque ont également été examinés.
- Rétrécissement: le laboratoire a mesuré les articles avant et après les dix lavages. Il a ainsi pu déterminer si les passages à la machine les faisaient rétrécir.
- Tenue à la sueur: les jeans ont-ils tendance à déteindre avec la transpiration sur d’autres textiles comme les sous-vêtements? Pour le savoir, des morceaux de denim mouillés – avec une solution alcaline et acide comme la sueur – ont été mis en contact avec des tissus blancs de diverses matières. Le tout a ensuite été chauffé sous pression à 37°C. Quatre heures plus tard, les experts ont observé si les jeans avaient déteint.
- Tenue au lavage: le laboratoire a relevé à quel point les denims avaient tendance à déteindre au lavage sur des tissus comme le coton, le polyester, le polyamide ou la viscose.
- Résistance aux frottements: à l’aide d’un appareil spécifique (crockmètre), les différents jeans ont été frottés dix fois sur un morceau de coton sec. L’exercice a été répété à l’identique sur un coton mouillé. Les experts ont ensuite examiné s’ils avaient déteint.
- Polluants: les colorants azoïques peuvent libérer des amines aromatiques cancérigènes. Raison pour laquelle 22 d’entre eux sont interdits. Le laboratoire a donc procédé à une analyse chimique pour vérifier si les fabricants respectaient la loi et si les denims contenaient des alkylphénoléthoxylates (APEO).
Ces derniers comprennent des tensioactifs fréquemment utilisés par l’industrie textile. Certains APEO interfèrent avec le système hormonal. Ils sont en outre toxiques pour les organismes aquatiques et s’accumulent dans l’environnement. Seule l’Union européenne fixe une limite de concentration à 0,1%