Ce n’est un secret pour personne: tout, ou presque, coûte les yeux de la tête en Suisse! L’initiative populaire fédérale «Stop à l’îlot de cherté – Pour des prix équitables» veut remédier à la situation (prix-equitables.ch). Lancée en septembre, elle réunit une vaste coalition de politiciens de gauche comme de droite, d’organisations professionnelles, comme GastroSuisse et hotelleriesuisse, de PME ainsi que les associations de consommateurs.
Fournisseurs étrangers pointés du doigt
Les auteurs demandent à la Confédération de prendre des mesures qui garantiront aux entreprises helvétiques la liberté de s’approvisionner dans les pays étrangers, et cela aux prix et aux conditions pratiqués dans ces Etats. Bon à Savoir a décidé de soutenir la récolte des signatures en incluant une liste dans ce numéro.
Mais en quoi une telle liberté peut-elle bien constituer la solution au problème de la cherté? En fait, les auteurs de l’initiative estiment que les différences de prix avec l’étranger ne s’expliquent que dans une faible mesure par le niveau élevé des charges salariales, des loyers et des coûts d’infrastructure suisses. Les vrais coupables sont à rechercher du côté des fournisseurs étrangers qui veulent profiter de notre pouvoir d’achat. Nombre d’entre eux verrouillent leurs canaux de distribution et contraignent les entreprises helvétiques à se fournir auprès d’importateurs officiels basés dans notre pays, à des prix bien supérieurs à ceux pratiqués chez nos voisins (lire encadré). Ces «suppléments Suisse» maintiennent les prix à des niveaux artificiellement élevés.
Jusqu’à 200% plus cher!
Pascal Vandenberghe, patron de Payot et membre du comité de direction de l’initiative, explique ainsi que, de ce côté-ci de la Sarine, le monde du livre est régi par un système de distribution exclusive. Tel ouvrage ne peut être commandé qu’auprès d’un seul importateur basé en Suisse, et qui est d’ailleurs, le plus souvent, une filiale de l’éditeur national. Résultat: les prix d’achat imposés aux libraires romands sont de 20% à 25% plus élevés que ceux demandés à leurs collègues dans l’Hexagone. «Une partie de ce surcoût est légitime, mais 10% environ ne se justifie pas», estime Pascal Vandenberghe.
Dans d’autres secteurs, les écarts peuvent être encore bien plus marqués. «De nombreuses branches, comme la construction métallique ou les arts graphiques, doivent faire face à des prix d’achat jusqu’à 50% supérieurs à ceux de leurs concurrents étrangers», souligne le comité d’initiative. Hotelleriesuisse va encore plus loin et assure que, dans notre pays, les fournitures dans l’hôtellerie et la restauration coûtent jusqu’à 200% de plus que chez nos voisins. Les institutions publiques sont également touchées. Les écoles, les universités et les hôpitaux sont ainsi contraints d’acheter diverses installations (appareils médicaux et de laboratoire, logiciels, etc.) au prix fort.
20 milliards de trop
Le «supplément Suisse» se répercute aussi, évidemment, sur les consommateurs. Des comparatifs de prix montrent, par exemple, que les cosmétiques sélectionnés étaient en moyenne 25% plus cher ici qu’en France et les vêtements 40%. Au total, les consommateurs et les entreprises paieraient entre 15 et 20 milliards de francs en trop chaque année!
Pour les initiants, la garantie de pouvoir s’approvisionner sans discrimination à l’étranger initiera un cercle vertueux: la baisse des prix de vente incitera les consommateurs à diminuer leur tourisme d’achat et à s’approvisionner de nouveau davantage sur le territoire national, préservant ainsi des emplois. De leur côté, en payant moins cher les fournitures importées, les entreprises suisses d’exportation amélioreront leur compétitivité face à leurs concurrentes étrangères. Cela préservera et créera des postes de travail, tout en réduisant le risque de délocalisation.
Et les auteurs de l’initiative de lancer: «Nous avons toléré des suppléments abusifs pendant plusieurs décennies. Aujourd’hui, ça suffit!»
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Sébastien Sautebin
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La lutte contre les prix élevés
En 2012, le Conseil fédéral a présenté un projet de révision de la loi sur les cartels. Celui-ci devait renforcer la concurrence en Suisse, et donc abaisser les prix, mais il a été enterré par le Conseil national en septembre 2014. Actuellement, la Comco peut agir contre les restrictions aux achats à l’étranger, mais elle ne le fait de manière très restrictive que contre les entreprises ayant une position dominante sur le marché. Avec l’initiative pour des prix équitables, l’action pourra être étendue à de nombreuses autres sociétés. Le texte veille aussi à ce que les PME suisses disposent d’une véritable liberté en matière d’achats. Il poursuit en quelque sorte et améliore l’initiative parlementaire Altherr déposée en septembre 2014, qui veut supprimer l’obligation de s’approvisionner en Suisse. Cette dernière a été acceptée par le Parlement, mais la Commission chargée du projet de loi n’a pas encore fait grand-chose, ce qui n’est pas de bon augure. De ce point de vue, l’initiative pour des prix équitables permet donc aussi de mettre la pression sur les politiques, pour que les choses bougent enfin.