La vente de vers de farine au stade larvaire, de grillons domestiques et de criquets migrateurs pour la consommation humaine est désormais autorisée en Suisse. Les consommateurs intéressés, ou curieux, n’auront pourtant pas beaucoup de choix dans les rayons des supermarchés. Coop, il est vrai, a abondamment communiqué sur le sujet en décembre déjà, annonçant la commercialisation d’un burger et de boulettes à base de vers de farine et de légumes ainsi que d’une barre protéinée (vers et fruits), fabriqués par la société Essento, avec des insectes provenant d’élevages belges et hollandais.
Mais les autres grands détaillants se montrent beaucoup plus frileux. Lorsque nous les avons questionnés, mi-avril, seul Manor a annoncé vouloir aussi franchir le pas. «Nous allons proposer des insectes séchés et aromatisés au rayon apéro/snacking», précise Elle Steinbrecher, responsable de la communication. L’entreprise menait cependant encore des discussions avec plusieurs fournisseurs et n’a pas pu fournir de date exacte de mise en vente.
«Pas d’hystérie» chez Migros
Migros explique vouloir d’abord «observer le marché». «Il nous intéresse, mais ne nous rend pas hystériques pour autant. Il s’agit d’un produit d’évolution des modes de consommation, pas d’un tsunami», résume son porte-parole Tristan Cerf. Le géant orange ne se contente toutefois pas d’une position attentiste. Sa filiale Micarna, principale entreprise de production de viande du pays, recherchait ainsi récemment un «gestionnaire de produit Insectes». «Nous sommes convaincus qu’il existe un potentiel, mais la question est encore ouverte de savoir comment ce marché va se développer», explique sa représentante Deborah Rutz.
9% seulement veulent goûter
Aldi et Lidl n’ont pas prévu, pour l’heure, d’incorporer les insectes dans leurs assortiments, tout en précisant suivre attentivement le dossier. Même son de cloche du côté d’Aligro, qui relève que, à l’heure actuelle, «ni la clientèle professionnelle ni la privée n’ont émis de demande spécifique dans le domaine».
Cette frilosité des grands détaillants s’explique en bonne partie par celle des consommateurs. Car, si la consommation d’insectes offre de sérieux atouts (lire encadré), le dégoût actuel de nombreux Occidentaux est un obstacle de taille. Une enquête, réalisée par la Haute Ecole des sciences agronomiques, forestières et alimentaires bernoise (HAFL) révèle que 9% seulement des personnes interrogées sont décidées à les goûter. Un tiers n’était pas opposé à l’idée, mais préférait attendre de voir. La majorité (environ 60%) ne peut pas s’imaginer les mettre au menu. «Notre sondage a montré que la consommation en Suisse d’aliments à base d’insectes n’est pas totalement utopique. Mais elle prendra du temps», conclut Thomas Brunner, auteur de l’étude. Selon lui, il sera crucial que les curieux trouvent les produits à leur goût, pour qu’ils convainquent ensuite leur entourage, créant un effet boule de neige.
Plusieurs distributeurs n’y croient pas. Volg ne prévoit ainsi pas d’intégrer les insectes dans son assortiment, de même que Globus: «Nos clients associent nos produits au plaisir, explique le détaillant. Or, sous nos latitudes, la consommation d’insectes n’est perçue comme un plaisir que par un nombre limité de personnes. Il n’est pas prévu de changer notre position sur le sujet ni d’y réfléchir.»
Sébastien Sautebin
Lire le bonus web: Allergies alimentaires aux insectes
Nutrition: les atouts des insectes
Selon Anthony Berthou, nutritionniste et enseignant universitaire, ces petites bêtes tirent leur épingle du jeu du point de vue tant nutritionnel qu’environnemental. «Leur teneur en protéines atteint 45% à 75% de leur poids sec et sont une très bonne source d’acides gras polyinsaturés oméga 3 et 6 ainsi que de minéraux comme le fer, le zinc, le magnésium, le cuivre, etc.»
De surcroît, leur empreinte écologique est mineure, contrairement aux élevages traditionnels. Il faut peu d’eau et il suffit de 2 kg d’aliments pour obtenir un kilo d’insectes contre 8 kg pour la même quantité de bœuf. Le spécialiste note également qu’ils produisent très peu de gaz à effet de serre. Des atouts que l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) souligne aussi.
Attention toutefois: en cas d’allergie aux crustacées, il faut savoir que les insectes contiennent la même protéine allergène. François Spertini, médecin-chef du Service d’immunologie et allergie du CHUV, souligne qu’il existe donc un risque de réactivité croisée, dont les conséquences peuvent être graves.