Quand on déguste un tagine, peu importe la taille de la cuillère à café qui a mesuré les épices, pourvu qu’elles soient bien dosées. Un contrat d’hypothèque, c’est un peu pareil: au moment de signer, le taux appliqué compte davantage que la formule qui se cache derrière.
La révolution qui se trame dans les cuisines des banques mérite pourtant qu’on s’y arrête. En 2022, le taux Libor (London interbank offered Rate), qui était le principal indice dans le monde pour les crédits à court terme, passera à la trappe.
Un taux monétaire se base sur les échanges financiers interbancaires. Le taux Libor est publié quotidiennement à Londres à partir des indications d’un panel de banques: elles indiquent à quel taux elles sont prêtes à emprunter de l’argent. Depuis la crise de 2008, les échanges ont massivement diminué. De plus, certaines institutions ont manipulé les chiffres pour augmenter leur marge: l’arrêt de mort du Libor sonnera à la fin de 2021.
En dessous de zéro
En Suisse, il est remplacé par le Saron (Swiss Average Rate Overnight), un taux calculé, chaque jour, par la Banque nationale et SIX, l’exploitant de la Bourse suisse sur la base de transactions effectives. Pour les propriétaires, il vaut la peine d’apprivoiser cet outil pour choisir la meilleure stratégie hypothécaire, même si ce changement aura peu d’impact sur les consommateurs (lire encadré).
Depuis plus de cinq ans, les transactions interbancaires se négocient en effet en pourcentages négatifs. Le 20 août, le taux Saron était ainsi de -0,70%, mais les institutions placent pourtant toujours le curseur sur 0%. C’est logique, car elles empruntent actuellement peu d’argent. Pour financer les crédits hypothécaires, elles se servent plutôt dans l’épargne de leur clientèle, elle-même rémunérée à 0%.
Le crédit ne sera toutefois pas gratuit, car la banque ajoute sa marge. «Un taux Saron compétitif devrait se situer entre 0,7% et 0,8%, mais, dans la pratique, il oscille plutôt entre 1% et 1,2%», regrette Roland Bron, directeur de Vermögens
Zentrum en Suisse romande. L’expert conseille de négocier ce tarif, quitte à changer d’institution.
Selon des estimations, neuf contrats hypothécaires sur dix sont basés sur des taux fixes, ce qui garantit la stabilité à l’emprunteur. Si on préfère un taux basé sur le marché monétaire, il faut surveiller de près l’évolution du marché pour bloquer le taux aux premiers signes de relance.
Un peu de tactique
Les experts ne sont pas tous d’accord sur la stratégie à adopter. «Avec la crise du Covid-19, les banques centrales vont maintenir les taux directeurs au plancher, analyse Roland Bron. Dans ce contexte, un crédit basé sur le marché monétaire donne la flexibilité de changer pour un contrat à taux fixe en cas, peu probable dans l’immédiat, de relance.»
Jonathan Naegeli, responsable régional de DL MoneyPark, plaide, au contraire, pour les contrats à taux fixe: ces derniers ont atteint un niveau historiquement bas, ce qui rend les produits basés sur le marché monétaire comparativement peu attrayants. Ils sont, certes, plus flexibles, mais les banques se montrent, aujourd’hui, plus souples pour rompre un contrat sans pénalité. A condition, bien sûr, de leur rester fidèle pour bloquer ensuite l’hypothèque sur un taux fixe.
Claire Houriet Rime
Le Saron fait sa place: une transition en douceur
Le taux Saron est fixé trois fois par jour: impossible de faire fluctuer les intérêts d’un crédit immobilier à ce rythme! La facture est donc basée sur un taux composé portant sur la moyenne d’une période définie. La Banque WIR fixe ce taux avant le départ du contrat sur la base des semaines écoulées, d’autres banques le font à la fin de la durée convenue. On peut aussi le calculer après deux mois sur les trois derniers mois écoulés: le taux du premier mois est ainsi connu au moment de signer.
«Certains préteurs ont introduit une innovation intéressante: leurs contrats d’hypothèques basés sur le Saron n’ont plus de durée de base», relève Jonathan Naegeli, responsable régional de DL MoneyPark. «Ils sont donc comparables à une hypothèque variable: voilà, enfin, un produit flexible à des conditions intéressantes!» On analysera toutefois attentivement les délais de dénonciation (entre six et treize mois), ainsi que l’éventuel contrat-cadre, qui peut aller jusqu’à cinq ans.En Suisse romande, les banques adoptent progressivement le nouvel outil. Les grandes institutions (Credit Suisse, UBS, Raiffeisen,) ont déjà franchi le pas, ainsi que la Banque Cler, la BCV et la BCN. La mise sur le marché de produits Saron est imminente chez Valiant et à la BCVs. Elle suivra, d’ici à 2021, chez PostFinance, la Banque Migros, la BCF et la BCJ notamment.