Les pesticides peuvent affecter gravement la santé humaine et ils nuisent à la biodiversité. Ce sont des faits, scientifiquement prouvés. Le 13 juin, les électrices et les électeurs suisses se prononceront sur deux initiatives qui veulent restreindre massivement, et même interdire, l’utilisation des pesticides de synthèse dans notre pays. Cette perspective scandalise le lobby des agriculteurs. L’Union suisse des paysans (USP) a, entre autres, lancé, l’an passé, une vaste campagne d’affichage pour redorer l’image des pesticides. Au début de cette année, elle a sonné la mobilisation générale et annoncé que «l’alliance soutenue par de nombreux acteurs» qu’elle a créée «entend exposer à la population les multiples conséquences négatives des deux initiatives et la convaincre de voter non à travers une vaste campagne tous azimuts». Et pour donner le ton, l’organisation faîtière prédit des conséquences catastrophiques si les pesticides étaient interdits: «La production indigène diminuerait, les importations augmenteraient, le gaspillage alimentaire grimperait en flèche, et le prix des aliments s’envolerait (…).»
Syngenta, Bayer et le chou de Bruxelles
Les paysans ont de puissants alliés au sein de l’industrie agrochimique, comme Syngenta et Bayer. La «plateforme d’information» swiss-food.ch que les deux multinationales ont lancée au début de 2020, diffuse un discours similaire. Un article récent consacré au chou de Bruxelles affirme, par exemple, que «les mauvaises années de récolte se multiplient et les importations de l’étranger augmentent». En cause, selon le texte, la pourriture noire provoquée par la mouche blanche, et l’attitude de la Confédération, qui a interdit, en 2016, l’insecticide methomyl, permettant d’en venir à bout. Du coup, les détaillants se ravitaillent aux Pays-Bas et en Belgique: «entre 2014 et 2019, les quantités importées de choux de Bruxelles ont doublé», précise swiss-food.ch, tout en ajoutant que «de nouvelles restrictions dans le domaine de la protection phytosanitaire en cas d’acceptation des initiatives populaires ne feraient qu’aggraver la situation».
Les statistiques des producteurs de légumes et de l’Administration fédérale des douanes montrent une tout autre réalité: depuis 2014, les agriculteurs suisses ont produit entre 1200 et 1300 tonnes de choux de Bruxelles par an, à l’exception de 2016. Cela prouve que cette culture est possible sans le methomyl. De plus, on ne peut pas déduire que le doublement des importations est dû à l’interdiction de l’insecticide, puisque cette augmentation est antérieure et pas postérieure à l’interdiction.
Fenaco: 400 000 fr. pour les pesticides
La société coopérative Fenaco, à laquelle appartiennent Volg et Landi, est active dans le domaine agricole, l’industrie alimentaire, le commerce de détail et l’énergie. Ce géant compte 10 000 collaborateurs et réalise un chiffre d’affaires annuel de 7 milliards de francs. C’est beaucoup d’argent et, en tout cas, assez pour débourser, selon nos informations, 400 000 fr. contre les «initiatives pesticides». La coopérative ne dément pas ce chiffre et répond que «Fenaco appartient aux agriculteurs suisses. Leur existence serait directement menacée si les deux initiatives étaient adoptées. C’est pourquoi nous nous y opposons activement.»
Fenaco prend également des mesures contre les agriculteurs biologiques, dont le travail prouve qu’il est possible de cultiver sans pesticides de synthèse. En janvier, elle a déposé la toute première opposition à un projet fédéral de développement régional, le «Légumes bio Seeland». Celui-ci veut promouvoir le secteur maraîcher bio de la région du Seeland, d’où sont originaires 20% des légumes bio produits en Suisse. La Confédération et le canton de Fribourg ont apporté leur soutien à hauteur de près de 17 millions de francs. Tous les partis politiques ont approuvé le projet, mais Fenaco l’a bloqué en janvier. La société nie tout lien avec les votations. Selon elle, ces fonds publics mèneraient à «une distorsion de la concurrence» en sa défaveur, parce qu’elle possède une centrale de fruits et de légumes à proximité immédiate de constructions prévues par le projet.
Martin Ott, pionnier du bio et directeur de l’école d’agriculture biologique Demeter, interprète cette intervention de manière très différente: «Pour des entreprises comme Fenaco, il n’est tout simplement pas envisageable que l’on se passe des pesticides. Surtout maintenant, avant les votations.» L’Union suisse des paysans vitupère, elle aussi, contre le bio. Dans une émission sur la nature, la télévision suisse alémanique (SRF) a présenté quelques paysans qui se passent avec succès des pesticides. C’en était trop pour l’USP, qui a tenté de s’opposer à la diffusion de ce programme. Le médiateur de la SRF a rejeté la plainte.
Daniel Mennig / Sébastien Sautebin