Obtenue à partir de fruits récoltés dans le canton, broyés puis torréfiés au chaudron et pressés artisanalement, l’huile de noix est un petit bijou du patrimoine culinaire vaudois fabriqué depuis la fin du XIIIe siècle. Elle est aussi le dernier produit inscrit, en juin, au Registre fédéral des appellations et des indications géographiques protégées (AOP et IGP).
Un patrimoine à protéger
Avec elle, la Suisse totalise désormais 23 AOP et 16 IGP. Ce sont, pour les premières, des fromages le plus souvent, puis quelques spiritueux et une poignée de spécialités diverses*. Les secondes comptent uniquement des produits transformés, notamment de la charcuterie de porc. Cette situation est le reflet de la topographie et de l’histoire de notre pays, comme l’explique Alain Farine, directeur de l’Association suisse des AOP-IGP. «Nos surfaces agricoles sont composées, à deux tiers, d’herbages. Les anciens y ont mis des ruminants, et ont fait du fromage avec leur lait. Le petit lait, qui est un sous-produit des fromageries, a été utilisé pour nourrir des porcs.»
Les AOP-IGP sont donc l’expression d’un terroir dont les hommes et le terrain ont façonné les saveurs spécifiques. Ainsi, un Sbrinz n’est pas un Gruyère qui, lui-même, n’a rien à voir avec un Vacherin Mont-d’Or. La loi (lire encadré) est venue ensuite fixer des conditions à la protection de ce patrimoine.
⇨ Pour l’AOP, on retiendra trois règles: la spécialité doit trouver son origine dans la région et y être élaborée dans sa totalité, de la production de la matière première jusqu’à sa réalisation finale. Il faut aussi que la typicité du produit soit étroitement liée à son origine géographique, par le biais de facteurs naturels (climat, sol, etc.) et humains (savoir-faire local). Enfin, la méthode de production est traditionnelle, l’industrialisation limitée.
Le Vacherin Mont-d’Or AOP, par exemple, doit entièrement provenir de son ère d’origine, limitée à la vallée de Joux et au pied du Jura vaudois. Cela inclut le lait, et même les épicéas des sangles cerclant les vacherins. Les conditions de production, y compris l’alimentation des vaches, sont définies dans un cahier des charges strict qu’on peut consulter, comme les autres, sur le site aop-igp.ch.
⇨ Avec l’IGP, la spécialité est aussi originaire de la région, mais seule une étape de sa fabrication doit obligatoirement y être réalisée. «Le lien au terroir est moins fort. Il vient surtout du produit fini, moins de la matière première», résume Alain Farine. La Longeole IGP par exemple, est élaborée dans le canton de Genève, selon une recette et un savoir-faire spécifiques, mais la viande de porc qui la compose peut provenir de toute la Suisse.
Viande des Grisons, l’exception
Les IGP sont donc moins contraignantes, mais demeurent des produits totalement suisses, la tolérance géographique s’arrêtant aux frontières, à une exception près: la viande des Grisons. Alors que la salaison, le séchage et le pressage doivent se faire dans le canton, le bœuf peut venir d’autres pays. «Nous y étions opposés, mais il s’agissait d’une des premières demandes d’IGP et les autorités grisonnes se sont impliquées, avec des arguments économiques», révèle Alain Farine. La viande des Grisons est en effet la seule IGP exportée dans des volumes très importants. En 2016, près de 1900 tonnes, soit 65% de la production, ont été vendues à l’étranger. La spécialité grisonne ne fait pas partie de l’Association AOP-IGP et ne peut pas utiliser le logo à croix blanche déposé par cette dernière.
Du côté des AOP, c’est le Gruyère qui caracole très largement en tête des ventes, avec près de 30 000 tonnes en 2019. Peut-on encore parler de terroir dans ce cas? «Le travail reste très artisanal, à l’échelle humaine. Il est réalisé dans plus de 160 fromageries de village, et pas dans de grosses usines, rétorque Alain Farine. Pour lui, les AOP-IGP garantissent des goûts authentiques, tout en offrant des particularités gustatives, car chaque producteur y ajoute sa patte. «On ne fait pas du Coca-Cola», sourit le directeur de l’association suisse.
*Bonus web: La liste des AOP et IGP suisses
Une protection mutuelle avec l’UE
L’AOP-IGP est un outil juridique, introduit en Suisse en 1997, qui permet de protéger le nom d’une spécialité traditionnelle contre les copies. C’est un droit d’usage collectif. Lorsque la dénomination est protégée, son utilisation est réservée aux producteurs de l’aire géographique définie, pour autant qu’ils respectent un cahier des charges précis.
Grâce à un accord de reconnaissance mutuelle, nos AOP/IGP sont protégées dans toute l’UE, à l’exception notable de l’Emmentaler, au bénéfice d’une AOP en Suisse, mais que plusieurs pays s’évertuent à fabriquer, avant tout industriellement, dont la France, premier producteur mondial.
L’obtention d’une AOP et d’une IGP est une procédure longue. Elle doit être le fruit d’une démarche collective organisée par un groupement représentatif et majoritaire des opérateurs, qui doit faire valider un cahier des charges par l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG).