«Horreur et stupéfaction». C’est ainsi que Philippe Chamorel décrit les émotions qui l’ont saisi le 11 mai dernier, lorsque la Caisse cantonale vaudoise de compensation AVS lui a fait parvenir une facture de près de 22 500 fr. Il ignorait jusqu’alors qu’en tant qu’héritier unique de sa maman, décédée le 29 août 2022 dans un EMS, il serait tenu de rembourser une partie des prestations complémentaires qu’elle avait perçues de son vivant. Un changement législatif, intervenu le 1er janvier 2021, en est la cause (voir encadré).
Si le Lausannois est sous le choc, c’est parce qu’il ne peut plus rien rembourser sur les quelques 70 000 francs d’héritage reçus sept mois plus tôt. Agé de 60 ans, ayant perdu son emploi et épuisé son droit au chômage, il a de bonne foi utilisé une grande partie de la somme pour payer ses dettes, et l’autre pour garder la tête hors de l’eau pendant quelques mois. Depuis le 1er mai 2023, il perçoit le revenu d’insertion. Une aide qui couvre tout juste ses besoins vitaux.
Lettre d’information classée dans le dossier
Mais notre lecteur est surtout en colère car il s’estime victime «d’un manque de communication institutionnel». Il est tombé des nues lorsqu’il a appris, après des mois, que la Caisse de compensation avait écrit à la justice de paix du district de Lausanne le 2 septembre 2022 déjà, soit quatre jours après la mort de sa mère. Elle souhaitait connaître la liste des héritiers, mais aussi qu’une copie de son courrier leur soit transmise pour qu’ils soient tenus informés de leur obligation de restitution. La justice de paix a versé le courrier au dossier de la succession, mais ne l’a pas fait suivre au lecteur.
La loi ne l’y contraint effectivement pas, même si le créancier est l’Etat. «En matière successorale, le rôle de la justice de paix est de délivrer le certificat d’héritier et de communiquer la liste des héritiers aux créanciers» nous répond le secrétariat de l’Ordre judiciaire vaudois. Ceux-ci doivent ensuite s’adresser aux héritiers directement. Quant à ces derniers, «ils ont en tout temps accès au dossier», précise encore la porte-parole, Liliane Beuggert.
Pas d’exception de bonne foi
La Caisse de compensation relève des pratiques différentes selon les districts: «Nous avons appris récemment que certaines justices de paix ne transmettaient pas nos courriers d’information. Des démarches sont en cours pour harmoniser ces pratiques», indique Marie-Noëlle Heuzé, cheffe du Service des Prestations complémentaires.
Pour Philippe Chamorel, c’est ce manque de processus clair qui l’a mené dans l’impasse. «Si j’avais été au courant plus tôt de mon obligation de rembourser, j’aurais pu anticiper et éviter cette nouvelle dette. Aujourd’hui, j’ai perdu espoir que ma situation s’améliore.» Il n’a même pas pu faire valoir sa bonne foi: la loi est stricte et ne prévoit aucune annulation de la dette pour les héritiers d’une succession d’un bénéficiaire de prestations complémentaires.
Le sort de notre lecteur est à présent entre les mains de l’administration. Il vient d’apprendre qu’elle renonce provisoirement à le mettre aux poursuites, au vu de ses faibles revenus. Mais rien n’exclut qu’elle réclame sa créance dans les années qui viennent, s’il revient à meilleure fortune.
Silvia Diaz
Quand les héritiers doivent passer à la caisse
Les principes suivants s’appliquent au remboursement des prestations complémentaires AVS/AI au décès du bénéficiaire:
- Les héritiers ne doivent rétrocéder que la part de la succession qui dépasse 40 000 francs. Exemple: le bénéficiaire des prestations complémentaires a touché 70 000 fr. de prestations complémentaires. A son décès, sa fortune est de 50 000 fr. Les héritiers pourront garder 40 000 fr., et devront restituer 10 000 fr. à l’Etat (50 000 fr. – 40 000 fr.).
- Un remboursement n’est exigible qu’àla mort du deuxième conjoint.
- Les PC doivent être rétrocédées sur les dix années qui précèdent le décès du bénéficiaire. Mais les prestations perçues avant le 1er janvier 2021 ne sont pas exigibles.
- L’Autorité dispose d’un délai d’une année dès qu’elle a connaissance des héritiers pour réclamer un remboursement. Et au plus tard jusqu’à dix ans après le versement de la prestation.
- Il faut restituer les PC dans les trois mois qui suivent l’entrée en force de la décision de la Caisse de compensation. S’il faut vendre un ou des immeubles, le délai est prolongé à une année, mais trente jours au maximum dès le transfert de propriété.