Il a longtemps traîné une réputation de vin de soif. Chasselas pour les uns, fendant pour les autres, il mérite pourtant mieux. Reflet du terroir romand par excellence, ce cépage est un marqueur d’identité. Il donne un vin bien de chez nous (lire encadré). Un brin ambivalent, c’est vrai. Chasselas et fendant valaisan (appelez-le comme vous voudrez) sont pareils à de faux jumeaux. Ces deux-là partagent le même ADN, mais tiennent à leur personnalité: plus démonstrative pour les crus valaisans, tout en profondeur pour les vaudois, diront certains.
Depuis la fin des années 1990, près de 30% des surfaces dédiées au chasselas ont été arrachées au profit de cépages rouges et de spécialités de blanc. Il faut dire que les consommateurs se détournaient de ce qui ressemblait, parfois, à de la piquette. Aujourd’hui, on produit moins, mais mieux.
Blanc le plus cultivé
Le chasselas reste le cépage blanc le plus cultivé de Suisse. Il donne un vin aux notes fruitées, marqué par une acidité vivifiante et un côté légèrement pétillant, qui en fait le compagnon privilégié de l’apéritif. Quoiqu’il se marie aussi très bien avec une raclette ou des filets de perche.
Nous avons sélectionné onze bouteilles de différents vignobles romands, achetées en grande surface pour un prix inférieur à 20 fr., afin de les soumettre au nez et au palais de quatre experts. La dégustation, qui s’est déroulée à l’aveugle, a couronné deux vins vaudois, un Yvorne du Chablais, de 2020, acheté chez Lidl, et un Dézaley de Lavaux, vendangé en 2022. Juste derrière, un cru valaisan de la cave Jean-René Germanier sauve l’honneur du Vieux Pays.
Le vainqueur obtient une note de 16,4 sur 20, grâce à «une acidité agréable et dosée», ainsi qu’à une belle «longueur en bouche», relève Mattéo Murphy. Riche et frais, cet Yvorne pèche par une certaine lourdeur, estime Julie Fuchs. Elle y voit néanmoins un chasselas «plaisant et facile à déguster». Un vin à servir au repas plutôt qu’en apéritif, conseille Richard Pfister. Et pourquoi pas avec un plat de pâtes, comme le suggère Davide Dargenio.
Potentiel de garde
Pour l’apéritif, le Dézaley qui finit second, remplira parfaitement sa mission. Quant au fendant qui le talonne, son «acidité ciselée peut paraître mordante, mais lui confère un beau potentiel de garde», observe Julie Fuchs.
Les autres vins sont notés entre 12,5 et 15, excepté le chasselas bio du Domaine de Beauvent, à Genève, qui a fait grimacer nos experts. Puni pour sa «dureté en bouche», son «amertume» et son «astringence», il récolte un petit 8.
Avec ses 260 hectares, le canton de Genève cultive plus de chasselas que celui de Neuchâtel, mais il arrive loin derrière le Valais et, surtout, Vaud. Yvorne, St-Saphorin, Dézaley… Avec près de 60% du chasselas cultivé en Suisse, ce canton en a fait son emblème. Un trésor accessible, à l’image du meilleur de notre dégustation, qui coûte moins de 14 fr. la bouteille.
Le jury
Davide Dargenio
Maître d’enseignement à l’Ecole hôtelière, Lausanne
Julie Fuchs
Maître d’enseignement à l’Ecole d’ingénieur, Changins
Mattéo Murphy
Vigneron, caviste et animateur d’ateliers de dégustation, Chexbres
Richard Pfister
Ingénieur œnolgue, Œnoflair, Semsales
Geneviève Comby
Un vin bien de chez nous
Le chasselas s’adapte mieux que d’autres cépages à différents terroirs, on le retrouve donc dans plusieurs régions de Suisse romande. Mais d’où vient-il? De Turquie, d’Egypte? Toutes sortes d’histoires ont circulé sur d’hypothétiques racines exotiques. La question a été tranchée par le généticien José Vouillamoz qui a comparé le profil ADN de plus de 500 cépages à travers le monde. Il rattache le chasselas à l’arc lémanique, probablement au canton de Vaud. Quant au nom «fendant», cher aux Valaisans, il trouverait, lui aussi, son origine dans le canton de Vaud. L’expression fait référence à des grappes dont les grands raisins se «fendent» sous la pression des doigts sans que le jus ne s’écoule.
Faut-il avoir peur des sulfites?
Toutes les bouteilles que nous avons testées affichent la mention «contient des sulfites». Cette indication est obligatoire pour les vins dont la teneur en sulfites est de plus de 10 mg par litre.
Utilisés comme additifs alimentaires, les sulfites sont présents dans de très nombreux produits de consommation. Ils s’y trouvent aussi parfois naturellement, à la suite d’une fermentation. Dans le vin, les sulfites permettent de se débarrasser de certaines bactéries et de prévenir l’oxydation.
Présents en plus grandes quantités dans le vin blanc que dans le vin rouge ou le rosé, et davantage dans les vins blancs doux que dans les vins plus secs, les sulfites sont-ils réellement responsables de désagréments dont on les rend souvent coupables, tels que des maux de tête? Ils peuvent accentuer les symptômes d’asthme. Pour le reste, en revanche, c’est beaucoup moins clair. Les maux de tête pourraient provenir d’autres composés présents dans le vin, comme l’histamine, sans parler de l’alcool lui-même, avec sa fâcheuse tendance à déshydrater le corps et le cerveau…
Il existe des chasselas sans sulfites ajoutés, essentiellement issus de production naturelle ou en biodynamie.